POIRET PAUL (1879-1944)
Grand rénovateur de la mode, et de la conception même du rôle de couturier, Paul Poiret a connu une carrière contrastée. Au cours de sa formation au rayon des manteaux et des costumes tailleurs chez le grand couturier Jacques Doucet, de 1898 à 1900, il s'est familiarisé avec les impératifs structurels de la création d'un vêtement ; plongé, lors de son passage chez Worth, de 1901 à 1903, dans l'atmosphère un peu étriquée d'une maison de couture attachée à des traditions périmées, Poiret fait déjà scandale avec ses robes simples ou avec tel manteau « chinois » composé d'un panneau de drap de laine simplement replié, baptisé Confucius.
Ayant créé son salon de couture en 1903, le jeune couturier respecte d'abord la silhouette féminine en vogue, charpentée par le corset qui, étranglant la taille et remontant la poitrine, projette le buste en avant et rejette la croupe en arrière. C'est à partir de 1906 qu'il conçoit une première formule révolutionnaire : la robe portée sans corset, qui exige de la femme une sveltesse naturelle. Les recherches de Paul Poiret dans ce domaine sont à rapprocher des démarches de Fortuny qui crée alors les fluides robes « Delphos », et d'Isadora Duncan qui porte de souples tuniques néo-grecques. Pour Poiret, la robe, dont la taille est remontée sous la poitrine, se construit désormais sur un large ruban de gros-grain simplement baleiné, ajusté au torse féminin. À cette modification structurelle, Poiret ajoute d'autres innovations : épris de chromatismes vifs, acides, il réintroduit le violet, le bleu roi, l'orange, le vert pomme, le rouge vif ; il accorde sa prédilection à une silhouette de femme filiforme et enturbannée qui évoque, dans un premier temps, une « merveilleuse » du Directoire, puis une sultane langoureuse quand l'influence des Ballets russes met l'orientalisme à la mode.
Dans son nouveau salon de couture (1909), établi dans un hôtel particulier et doté d'un jardin vite devenu célèbre, Paul Poiret donne en 1911 une fête mémorable, la Mille et Deuxième Nuit : tous les invités sont costumés en personnages des fameux contes. Cette même année, le couturier fonde l'atelier « Martine », qui accueille des fillettes d'origine sociale modeste, invitées à s'exprimer librement avec les pinceaux et les papiers mis à leur disposition ; cet atelier donne des dessins de fleurs et de fruits, édités sous forme de tissus ou de papiers peints, et s'adjoint une boutique de décoration également baptisée « Martine ». Poiret crée en outre une maison de parfums « Rosine » : les fragrances et les flacons, très élaborés, introduisent l'orientalisme dans la vie quotidienne.
Les variations proposées par Poiret sur le thème de la silhouette fuselée vont de la jupe entravée (1910) à la jupe-pantalon (1911), ainsi qu'aux robes à courte tunique en forme d'abat-jour qui, créées dès 1911, reçoivent un plein succès avec le modèle « Sorbet » (1913).
Le couturier propose à Raoul Dufy d'exploiter les ressources de la gravure sur bois pour des tissus imprimés de larges motifs ; le succès de ces textiles (avec pour vedette un décor floral intitulé « la Perse ») vaut rapidement au peintre un contrat d'exclusivité avec la maison Bianchini Férier (1912).
Dans ces années de prospérité, Poiret se consacre à de multiples voyages (dont une tournée triomphale aux États-Unis, en 1913), organise des réceptions fastueuses, telles les « Festes de Bacchus » données en 1912 au pavillon du Butard, et crée des garde-robes entières pour des spectacles comme Le Minaret (1913) ou Aphrodite (1914). Il est également à l'origine de la rénovation de l'illustration de mode dont le graphisme et la mise en pages dérivent désormais de l'estampe japonaise : ses commandes d'albums publicitaires à des[...]
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Écrit par
- Guillaume GARNIER : conservateur du musée de la Mode et du Costume, palais Galliera
Classification
Autres références
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