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PROUTÉ PAUL (1887-1981)

Marchand, collectionneur, érudit, Paul Prouté a consacré sa vie à l'estampe et au dessin ; son expérience, qui remontait au début du siècle, était servie par une mémoire sans défaut jusqu'aux derniers jours et mise généreusement à la disposition de tous.

Descendant d'une de ces vieilles lignées d'artisans et de commerçants parisiens chez qui le goût de l'art affleure comme instinctivement, parisien lui-même au point de ne pas supporter une journée à la campagne, il se flattait d'avoir eu un porte-carton pour berceau. Sa grand-mère avait dirigé un atelier de coloristes d'estampes à la main ; son père, Victor Prouté, avait été lui-même coloriste au patron, avant de s'établir libraire (1875-1876), puis marchand d'estampes au 12 de la rue de Seine, près de l'Institut : c'est lui le « père Prouté » qu'immortalisa Anatole France, l'un de ses habitués. Éduqué à la manière rude et solide du xixe siècle, riche du savoir amassé auprès de son père, Paul Prouté, à la mort de ce dernier (1920), s'installe au 74, rue de Seine, bientôt fréquenté par les amateurs du monde entier. Une connaissance instinctive de l'estampe et du dessin, une sûreté de goût qui lui fait d'emblée reconnaître la qualité, une activité incessante soutenue par une santé qui ignora jusqu'au bout le poids des années, lui permettent de refuser toute spécialité et d'aborder toutes les époques et tous les pays. Dans sa « boutique », où l'étudiant curieux trouve le même accueil que le client illustre ou riche, se rencontrent aussi bien les grands marchands internationaux que les érudits, tels Focillon, Hautecœur, Opresco, Cantacuzène, et les collectionneurs, comme Atherton Curtis, que Paul Prouté aide à réunir ses précieux cartons, avant de veiller à l'entrée des plus belles pièces à la Bibliothèque nationale. Il est peu de travaux sur l'estampe ou le dessin, peu de collections privées ou publiques à travers le monde qui ne doivent quelque chose à Paul Prouté. Il faisait preuve d'une très grande ouverture de goût, mais ne cachait pas ses préférences, dont témoigne une double série de catalogues périodiques soigneusement élaborés et richement illustrés (22 numéros pour la série in-4, 75 numéros pour la série in-12). Il blâmait librement le métier sommaire de certains graveurs modernes, regrettait le peu d'estime où sont tombés de nos jours les grands maîtres de l'estampe de reproduction (Nanteuil, Gaillard), n'hésitait pas à mettre en valeur les dessins d'artistes oubliés : on constatera un jour que c'est pour être apparus dans les cartons de la rue de Seine que certains peintres du xixe siècle ont de nouveau attiré l'intérêt (Aligny, Blondel, Bertin, Bénouville...). Il affectionnait l'estampe populaire, à laquelle il a consacré un catalogue exceptionnel (1979). Toujours prêt à donner un avis, prenant volontiers la parole pour des causeries ou des conférences pleines d'esprit, il trouvait rarement le temps d'écrire : il a pourtant laissé, outre de nombreux textes dispersés, un catalogue critique d'Appian (1968) et de nombreuses notes manuscrites, en particulier les éléments d'un catalogue critique de Charles Jacque graveur.

Un joli livre de souvenirs offre un témoignage précieux sur le monde des marchands et collectionneurs qu'il avait connu (Un vieux marchand de gravures raconte... 1980). Il conservera le portrait de l'homme, avec sa bonhomie bienveillante, mais permettra seulement de deviner le rôle exceptionnel que, jusqu'au bout, secondé par ses enfants, il a tenu et maintenu pendant plus d'un demi-siècle dans le domaine qu'il a aimé si profondément.

— Jacques THUILLIER

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