KRUGMAN PAUL R. (1953- )
Pourfendeur des idées reçues
Les théories du commerce international ont bien besoin d'un tel mentor car après la thèse de l'échange inégal défendue, dans les années 1970, par des économistes marxistes, les années 1990 sont celles où des néo-ricardiens (Lester Thurow par exemple) soutiennent que le commerce entre pays pauvres et pays riches conduit à l'enrichissement des premiers et à l'appauvrissement des seconds. La concurrence des pays à bas salaires provoquerait chômage et déséquilibres sur le marché de l'emploi des pays industrialisés.
Ces conclusions séduisent car elles fournissent en un seul mot, « la mondialisation », l'explication des problèmes de société les plus préoccupants du moment, à savoir la montée du chômage et des inégalités. Aussi sont-elles rapidement relayées par nombre d'essayistes et de responsables politiques influents.
En France, on en retrouve par exemple l'influence dès 1993, dans un rapport de la commission des Finances du Sénat (dit rapport Arthuis) qui montre les dangers des délocalisations consécutives aux échanges avec les pays du Sud, allant jusqu'à recommander l'adoption de mesures protectionnistes. Krugman s'insurge contre ce genre d’idées. Dans un livre publié en 1998, La mondialisation n'est pas coupable, il s'attaque aussi bien aux tenants de l'ultralibéralisme qu'aux réfractaires à l'extension du commerce international. Il dénonce la paresse intellectuelle de ceux qui, sous couvert d'érudition, participent à l'essor de ce qu'il appelle « la théorie Pop du commerce international » (Pop Internationalism). Il n'est guère plus tendre envers les éditeurs qui accentuent le mouvement en préférant les idées faciles et assurément plus vendeuses à celles qui obligent à raisonner. En prennent aussi pour leur grade les économistes eux-mêmes, dont il fustige l'incapacité à communiquer auprès d'un public plus large que leurs pairs.
Le Pop Internationalism que dénonce Krugman part d'une analogie percutante mais trompeuse : les pays seraient aujourd'hui comparables à de grosses entreprises soumises au défi de la concurrence mondiale et qui joueraient leur avenir dans cette compétition. Au jeu en question, il faudrait à tout prix être gagnant, les gains des uns faisant nécessairement les pertes des autres. À cela, Krugman répond que les États ne se livrent pas au même genre de concurrence que les entreprises. Les pays constituent les uns pour les autres à la fois un débouché (en tant que marché d'exportations) et une ressource (en tant que source d'importations). Quand un pays se porte bien, ce n'est donc pas mécaniquement au détriment d'un autre. Sa bonne santé est porteuse de débouchés et de ressources supplémentaires à moindre coût pour les pays tiers. Autrement dit, le commerce international n'est pas un jeu à somme nulle. Pourtant, l'attrait de la doctrine est puissant tant ses arguments paraissent convaincants. Les salaires ont commencé à stagner et le chômage à s'accroître en touchant massivement les travailleurs les moins qualifiés, au moment où le commerce international s'est intensifié et s'est ouvert à des pays moins développés disposant d'une réserve inépuisable en travail non qualifié. Comment ne pas lier ces deux tendances ? Tout d'abord en gardant à l'esprit que la progression du commerce international ne signifie pas uniquement celle des importations, dont on peut penser qu'elles sont défavorables à l'emploi du pays domestique, mais celle aussi des exportations à laquelle il faut en toute logique attribuer l'effet inverse.
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Écrit par
- Françoise PICHON-MAMÈRE : maître de conférences, université Paris-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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