KRUGMAN PAUL R. (1953- )
Des facteurs internes à l'origine des inégalités et du chômage
Pour Krugman, la montée des inégalités et du chômage s'explique essentiellement par des facteurs internes et non par des contraintes externes. Le déclin des salaires réels des travailleurs les moins qualifiés est directement lié à celui de l'industrie manufacturière dont le commerce international n'explique qu'une petite partie. Pourquoi ? Parce que, par-delà le mythe de la contrainte extérieure, même si le commerce international n'a jamais été aussi développé, les niveaux de vie restent très largement déterminés par des facteurs internes. On dépense aujourd'hui une partie plus importante de ses revenus en services qu'en produits manufacturés. Le progrès technique a rendu ces derniers de moins en moins coûteux à produire et donc de moins en moins chers à acheter. De ce fait, c'est le secteur des services, plus coûteux, qui a gagné en valeur et donc en importance relative. Les gains de productivité plus faibles dans le secteur des services ont au final pesé sur la productivité globale de l'économie ; le ralentissement de la productivité commandant celui des salaires. Ce n'est pas de compétition internationale qu'il s'agit ici mais d'un changement de structure de la consommation intérieure, d'une évolution du tissu productif, et des effets du progrès technique.
Si la concurrence extérieure n'est ni responsable du déclin du secteur manufacturier, ni la cause première de la tendance à la stagnation des salaires, n'est-elle pas au moins responsable de la détérioration du niveau de vie des travailleurs non qualifiés ? La question mérite d'autant plus d'être posée qu'elle a pour fondement la seule vraie référence de la théorie pop à la théorie du commerce international : la thèse de l'égalisation du prix des facteurs qui veut que, lorsqu'un pays riche où le travail qualifié est abondant commerce avec un pays pauvre où le travail qualifié est rare et le travail non qualifié abondant, les taux de salaires tendent à converger : le salaire des travailleurs qualifiés chute dans le pays pauvre et progresse dans le pays riche, celui des travailleurs non qualifiés chute dans le pays riche et progresse dans le pays pauvre. Le commerce international pourrait donc expliquer le creusement des inégalités de salaires dans nos pays. Selon Paul Krugman, ce n'est pourtant pas le cas. Les faits récusent l'importance que pourrait avoir l'égalisation du prix des facteurs dans l'explication de l'inégalité croissante des salaires. Le cœur de l'argument est simplement que le commerce avec les pays à bas salaires représente à peine plus de 1 % du PIB dans le cas des États-Unis. Est-ce différent dans le cas de l'Europe ? Guère, l'Europe n'étant pas beaucoup plus ouverte sur l'extérieur que les États-Unis. Et Paul Krugman de rappeler que la croissance économique du Tiers Monde est une opportunité, pas une menace. Cela, même si la plupart des pays du Sud engloutissent les investissements directs des délocalisations. Car, c'est un principe comptable incontournable, toute ressource a son emploi. Par conséquent, un pays emprunteur net de capitaux est aussi nécessairement un pays acheteur net de marchandises.
Paul Krugman est, à n'en pas douter, un auteur prolifique qui sait communiquer. Il lui a cependant fallu attendre 1991 pour être véritablement reconnu par ses pairs et recevoir la médaille John Bates Clark, décernée tous les deux ans aux économistes de moins de quarante ans par l'American Economic Association. Cette récompense ne l'empêche pas de cultiver un esprit caustique. Ainsi conclut-il l'un de ses ouvrages en écrivant que « les seuls obstacles à la prospérité du monde sont des doctrines obsolètes qui encombrent l'esprit des hommes », une[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Françoise PICHON-MAMÈRE : maître de conférences, université Paris-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
COMMERCE INTERNATIONAL - Théories
- Écrit par Lionel FONTAGNÉ
- 7 228 mots
La synthèse proposée par Elhanan Helpman et Paul Krugman en 1985 en termes d'équilibre intégré a permis de dépasser l'opposition paradigmatique entre avantage comparatif et concurrence imparfaite, en donnant une nouvelle interprétation de l'apport de Jaroslav Vanek. -
COMMERCE INTERNATIONAL - Avantages comparatifs
- Écrit par Matthieu CROZET
- 5 804 mots
Le modèle dit de »dumping réciproque », développé au début des années 1980 par James Brander et Paul Krugman, explique les flux de commerce par le comportement stratégique des firmes sur des marchés oligopolistiques : chaque entreprise dispose d'un avantage compétitif sur son propre marché... -
COMPÉTITIVITÉ
- Écrit par Jean-Louis MUCCHIELLI
- 1 340 mots
- 1 média
...États-Unis, l'Europe et le Japon seraient des concurrents, au même titre que Coca-Cola et Pepsi-Cola. Pourtant, comme l'a rappelé l'économiste américain Paul Krugman dans La mondialisation n'est pas coupable (1998), l'analogie est impropre : une entreprise vend tout, ou presque, à l'extérieur de son... -
CRISES ÉCONOMIQUES
- Écrit par Jean-Charles ASSELAIN , Anne DEMARTINI , Pascal GAUCHON et Patrick VERLEY
- 21 855 mots
- 14 médias
...des économies à moyen terme ne signifie pas pour autant la fin des crises, celles-ci demeurant plus que jamais d'actualité au début du xxie siècle. Dans son livre The Return of Depression Economics paru en 1999, Paul Krugman insistait justement sur leur caractère inéluctable, même si, au fil du temps,... - Afficher les 7 références