ROBERT PAUL (1910-1980)
Avec Antoine Furetière, Émile Littré et Pierre Larousse, Paul Robert, lexicographe et éditeur français, est l'un de ces hommes dont le nom est pratiquement devenu synonyme de « dictionnaire ». Rien ne paraissait cependant le destiner à ces travaux.
Son père, Joseph Robert, était une personnalité marquante de l'Algérie « française » dont Paul Robert, né à Orléansville, établi cependant en France dès 1945, garda toute sa vie la nostalgie. Ses ascendances et ses relations d'affaires, des études de droit interrompues par la guerre et achevées en 1945 par une thèse sur Les Agrumes dans le monde, le disposaient à être avocat, industriel ou homme politique. Mais des études d'anglais poussées et un bref passage au service du chiffre de l'état-major (1945) donnent une impulsion décisive à son goût instinctif pour les problèmes de vocabulaire.
Il constate alors qu'aucun des dictionnaires en usage à l'époque ne lui permet, pour les besoins d'une traduction ou d'une rédaction précises, d'aller de proche en proche à la découverte du mot juste. Il lui faut pour cela doubler le dictionnaire de langue de dictionnaires d'analogies ou de synonymies peu satisfaisants. En outre, le Littré est dépassé (sa documentation ne va pas au-delà de 1840) et mal organisé. Le Dictionnaire de l'Académie (1932-1935) est pauvre. Plus encyclopédiques que linguistiques, les différents Larousse sont au mieux de bons catalogues de mots traités comme des unités isolées, et non comme les éléments d'une structure complexe et vivante.
De cette réflexion naît le projet d'un dictionnaire des mots suggérés par les mots, dans lequel l'utilisateur trouverait, outre les définitions et de nombreuses citations d'auteurs, un appareil de renvois à d'autres articles ou à d'autres citations, s'ajoutant à des listes de mots du même champ lexical, proches (synonymes), contraires (antonymes) ou dérivés. Pressentant qu'un tel dictionnaire trouverait un large public, Paul Robert en rédige seul un premier fascicule de soixante-dix pages qu'il présente à l'Académie française, et que celle-ci couronne en 1950. Il peut alors solliciter des capitaux amis, créer, à partir d'une petite librairie, sa propre maison d'édition, et constituer une équipe de rédaction. Celle-ci (avec, en particulier, J. Debove, A. Rey, puis H. Cottez) se passionne d'emblée pour l'entreprise ainsi conçue, si bien que la rédaction du grand Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française avance régulièrement, et très rapidement pour un ouvrage d'une telle ampleur. Le premier volume (A-C, 1 077 pages en grand format sur deux colonnes) est achevé d'imprimer en 1953. Les cinq suivants (D-Fem, Fen-Ing, Ing-Or, Ora-Reco, Recr-Z), sont livrés de 1955 à 1964 aux très nombreux souscripteurs. Un supplément de 514 pages, qui élargit sensiblement vers les vocabulaires populaire et technique le champ couvert par les six volumes d'origine, paraît en 1970. De plus en plus absorbé par la direction d'ensemble de la Société du Nouveau Littré, Paul Robert n'est plus alors, depuis plusieurs années, que le conseiller respecté de l'équipe de rédaction. Le Robert en un volume, format moyen, 2 171 pages (dit aussi Le Petit Robert), qui établit définitivement le succès de ce style de rédaction, est l'œuvre de l'équipe animée par Alain et Josette Rey, et Henri Cottez.
Foncièrement conservateur et traditionaliste, philologue à la façon du xixe siècle plutôt que lexicologue du xxe, amateur intelligent que rien n'avait préparé à devenir le « dictionnariste » le plus connu de notre époque, Paul Robert n'en a pas moins réalisé une œuvre tout à fait novatrice. Des circonstances très favorables – une forte demande latente, au lendemain de la guerre,[...]
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Écrit par
- Jacques CELLARD
: enseignant, journaliste au journal
Le Monde
Classification
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