SCARRON PAUL (1610-1660)
L'interprétation de l'œuvre de Scarron fut dominée, pendant deux siècles, par les préjugés d'une orthodoxie classique qui soumettait les œuvres littéraires à des exigences de « raison » et de « noblesse ». On comprend mieux aujourd'hui le véritable sens de ses livres, et on cesse de s'étonner que ce prétendu hérétique de la littérature ait eu, de son vivant même, l'estime et l'admiration des meilleurs esprits.
Un burlesque
Paul Scarron naquit à Paris. Sans briller par des dispositions particulières pour la piété, il entra dans les ordres, et vécut, de 1632 à 1640, au Mans, dans l'entourage intime de l'évêque. Il n'était pas précisément scandaleux, mais d'allures fort libres. En 1638, il fut atteint d'une terrible maladie qui finit par le rendre paralysé des jambes, de la colonne vertébrale et de la nuque. L'explication malveillante qui se présente d'abord à l'esprit n'est pourtant pas la plus probable. De retour à Paris, il vécut cloué sur sa chaise, mais entouré d'une élite d'amis du très grand monde, esprits libres et cultivés. En 1652, il épousa, pour lui éviter le couvent, une orpheline pauvre, celle-là même qui, bien plus tard, devait épouser Louis XIV et devenir Madame de Maintenon. Il mourut à Paris après des années de souffrances.
Scarron a joué un rôle décisif dans les destinées du genre burlesque en France. Son Recueil de quelques vers burlesques, en 1643, fut exactement l'origine d'une vogue qui fut immense. Puis il publia Le Typhon (1644), première en date des épopées burlesques françaises. De 1648 à 1652, il fit paraître le Virgile travesti.
Ces faits bien établis ont besoin d'être interprétés. Le burlesque, tel que le conçoit Scarron, n'est pas du tout, comme le croyait Sainte-Beuve, un antidote aux excès du style « précieux ». Il n'exprime pas non plus une complaisance pour la vulgarité et la bassesse. Au niveau le plus profond, il se relie à cette conception de la poésie, si puissante au xviie siècle, mais si méconnue des historiens, qu'on peut appeler une esthétique de la grâce et de la joie, tout opposée à l'esthétique de la grandeur et de l'austérité qui tendait à dominer le siècle.
Cette idée d'une poésie qui charme et qui amuse reposait en France sur une grande tradition, celle de Marot. Après une longue période d'obscurcissement, on observe qu'en 1630 elle est en pleine vogue. C'est elle, et non pas Malherbe, qui règne à l' hôtel de Rambouillet. On y écrit des lettres et des poésies en langue marotique. On y pratique les genres dont Marot a donné d'inoubliables modèles. On vise à l'amusement, à la trouvaille charmante. Dès 1640, Saint-Amant expose les exigences de cette poésie qui n'a rien de commun avec les « bouffonneries plates et ridicules », et qui se veut assaisonnée « de gentillesse et de pointes d'esprit ». Scarron, d'autre part, s'inspire du burlesque des récents Italiens, notamment de Bracciolini, de Tassoni et de Lalli. C'est là qu'il trouve ce goût de la dérision et de la parodie qui, de tradition en Italie, se développait à son aise dans le climat du baroque. Dérision des dieux antiques chez Bracciolini, parodie de l'Enéide chez Lalli. Les excellents esprits qui applaudissaient alors au « burlesque », Guez de Balzac, Saint-Amant, Sarasin, Ménage, auraient été fort étonnés si on leur eût soutenu qu'il était synonyme de grossièreté. C'est plus tard, à l'époque de la Fronde, que le burlesque se corrompit. Scarron fut le premier à manifester sa réprobation. Il fit appel aux « bons esprits » pour mettre un terme à cette mode en laquelle il voyait un fléau et abjura ce style « qui avait gâté tout le monde ».
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Écrit par
- Antoine ADAM : professeur honoraire à la faculté des sciences humaines de Paris
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