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SCHALLÜCK PAUL (1922-1976)

Moraliste, humaniste, démocrate, l'écrivain allemand Paul Schallück avait une haute conscience de son métier d'essayiste et de publiciste, qui le mettait en contact avec des lecteurs et des auditeurs de manière plus directe que ne pouvaient le faire ses romans. En moraliste, il rappelait que le travail, le gain, le confort matériel ne constituent pas des buts en soi. En humaniste, il dénonçait l'indifférence, les injustices. Réunis en un volume, dont le titre, Zum Beispiel, 1962 (Par exemple), indique clairement l'intention, ces essais expriment une présence jamais prise en défaut, non seulement à l'événement, mais, à travers lui, aux enracinements profonds des préjugés et des inquiétudes. Les sommaires des numéros de Dokumente, dont il fut rédacteur en chef de 1971 à 1976, en sont également la preuve : crise économique, injustice frappant les plus pauvres, démocratie en danger, société punitive, Églises démissionnaires ; une armée pour quoi faire ? Ses éditoriaux mettaient l'accent sur les imperfections humaines et sur les crimes commis au nom du droit et de la liberté. Ce faisant, Schallück agissait en démocrate, conscient que la revue qu'il dirigeait devait servir à dénoncer les maux dont souffrent les hommes. Il appartint au Groupe 47, qui s'était défini comme une association démocratique, et fonda avec Heinrich Böll la Germania judaïca, à Cologne, bibliothèque rassemblant tous les ouvrages relatifs à l'histoire du peuple juif ; il organisa et anima avec les rédacteurs de Documents et de Dokumente des rencontres entre écrivains français et écrivains allemands qui marquèrent profondément de 1953 à 1968 les relations littéraires entre l'Allemagne et la France.

Paul Schallück naquit à Warendorf, en Westphalie, d'un père allemand et d'une mère russe. Ses parents l'envoyèrent à l'âge de treize ans au séminaire afin qu'il pût poursuivre ses études. Mais le jeune homme n'avait pas la vocation religieuse, et la guerre le détourna d'une voie toute tracée, une guerre qui s'acheva, pour lui, le 20 août 1944, à Paris, sur le Pont-Neuf, où il fut blessé par les résistants. Il reprit ses études, en 1946, à l'université de Münster, puis à celle de Cologne, fut critique théâtral de 1949 à 1952. Son premier roman, Wenn Man aufhören könnte zu lügen, 1951 (Si l'on pouvait s'arrêter de mentir), est le roman d'une vérité, celle de la souffrance endurée pendant la guerre. L'expérience vécue de la souffrance légitime l'écrivain ; comme l'a bien montré Siegfried Lenz, c'est à partir de l'instant où elle s'enfonce dans la chair de l'homme pour ne plus lui laisser de répit que tous les mensonges se trahissent. Thomas, le personnage principal du livre, cruellement blessé au cours de combats de rues, reprend ses études, la guerre finie, dans un pays en ruines et occupé. La misère physique et morale de toute une population s'accompagne d'un désarroi dont profitent les vendeurs d'illusions. Thomas, lui, ne parvient pas à vaincre l'angoisse qui est au fond de lui et en arrive au suicide.

Vérité (et souffrance) de la mort, c'est le thème d'Ankunft Null Uhr Zwölf, 1953 (Arrivée à minuit douze), le deuxième roman de Schallück. Vérité de la souffrance encore que celle d'Ulrich Bürger, qui, dans Die unsichtbare Pforte, 1954 (La Nasse), se drogue lorsque sa blessure de guerre ravive l'ancienne douleur et lui rappelle le cauchemar enduré. Ulrich veut sortir du monde de l'angoisse et de la mort où la guerre l'a plongé. Encouragé par sa fiancée, il accepte d'entrer en clinique ; il parviendra à franchir la « porte invisible » (c'est le titre allemand de ce roman) qui le sépare de la vie. L'errance d'Ulrich symbolise, peut-être, celle d'un peuple au lendemain de la guerre.[...]

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Écrit par

  • : ancien directeur littéraire des éditions Casterman, ancien rédacteur en chef de la revue Documents, critique littéraire spécialiste de la littérature allemande

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