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TILLICH PAUL (1886-1965)

La « Théologie systématique »

La réflexion concernant le Christ commence par une analyse de la situation de l'homme, que Tillich, à la suite de Marx, décrit comme une situation d'aliénation et d'autodestruction. L'homme tel qu'il existe ne réalise jamais son essence propre, il est aliéné à son être véritable. Néanmoins, l'homme aliéné n'est pas séparé de l'être véritable. Il continue à appartenir à Dieu, dont il est séparé. Il n'est pas à même de se détacher définitivement de lui, pas plus qu'il n'est capable de s'unir définitivement à lui. Il reste uni, malgré son aliénation, à Dieu, aux autres hommes et à lui-même. Ces relations, il peut les haïr, les aimer ou y rester indifférent, mais il ne peut, en aucune façon, y échapper. Le tenter, c'est aller à l'échec et à la destruction de soi-même.

La question du dépassement de cette aliénation, c'est celle de l'« être nouveau », lequel est apparu en Jésus-Christ. Ce dernier est soumis aux mêmes conditions d'existence que tout homme. La puissance qui réalise en lui l'être nouveau n'est pas sa propre puissance. Tout comme n'importe quel homme, Jésus ne dispose d'aucune force ou puissance qui soit à même de le sauver. C'est l'esprit de Dieu qui réalise l'être nouveau dans la condition humaine générale et commune, en Jésus tout comme en nous.

Le concept d'esprit est mis en corrélation avec le concept de vie, dont l'analyse philosophique récuse conjointement une idée qui conçoit la vie comme essentiellement paradisiaque et une idée qui la conçoit comme essentiellement pêcheresse et aliénée. Ce qui vit n'est ni essentiellement bon, ni essentiellement mauvais. Vivre, c'est vivre un mélange des deux ; c'est vivre dans l'ambiguïté. La réponse biblique à cette ambiguïté est celle qui parle de l'« esprit divin ». L'action de l'esprit divin délie l'enchaînement inéluctable entre le Bien et le Mal et restitue ainsi à la vie son unité et son sens. Elle permet à l'homme de vivre dans la foi et l'amour.

Transposée du domaine de l'individu à celui de l'histoire, l'action de l'esprit de Dieu se dit «   royaume de Dieu ». Ce symbole réunit en lui des éléments politiques et des éléments qui transcendent l'histoire. Le royaume de Dieu se manifeste dans l'histoire grâce à des institutions et à des événements tout à fait profanes. Toute victoire de ce royaume est aussi une victoire sur l'usurpation de la puissance et sur les conséquences destructives et démoniaques de cette usurpation, à la manière dont les démocraties ont triomphé de l'inhumanité et du paganisme nazis. Or, dans l'histoire, aucune victoire n'est jamais totale et définitive. Il est interdit à l'homme d'identifier le royaume de Dieu avec une réalité terrestre, qu'il s'agisse de la démocratie américaine ou même de l'œcuménisme du xxe siècle. L'histoire n'est pas à même de donner une réponse à l'énigme qu'elle constitue elle-même. Cette réponse appartient à Dieu, c'est celle de son royaume qui sans cesse vient à nous et qui pourtant reste sans cesse, jusqu'à la fin des temps, le royaume à venir.

— Jean-Louis KLEIN

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