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PAUL VALÉRY (M. Jarrety)

Avec ses mille deux cents pages de texte serré et ses quelque deux cents pages de notes et d'index, le Paul Valéry de Michel Jarrety (Fayard, Paris, 2008) n'est pas une simple biographie. C'est un monument. On avait rarement connu pareille entreprise visant à tenter de tout dire de la vie d'un homme, semaine après semaine et souvent jour après jour, et de retracer la genèse de ses œuvres avec une telle précision que l'on a l'illusion de les voir s'écrire devant nous. Certes cela n'aurait pas été possible sans l'existence et l'appui des innombrables lettres qu'écrivit Valéry, des notations autobiographiques qui parsèment l'ensemble de ses Cahiers ou de tous les documents inédits préservés dans les archives familiales. Encore fallait-il inventorier cette masse d'informations et surtout en faire matière à récit – et à un récit vivant. Le tour de force de Michel Jarrety est d'avoir fait en sorte que l'ampleur de l'érudition ne nuise jamais à la clarté et à l'attrait de ce dernier.

S'il y a bien un auteur qui méritait d'être ainsi mis en pleine lumière, c'est Valéry. Trop longtemps, en effet, celui-ci a figuré parmi les plus méconnus des écrivains célèbres. Un peu hâtivement identifié à ses œuvres, notamment La Soirée avec Monsieur Teste ou les poèmes de Charmes, on a très tôt forgé de lui une image aussi infidèle que durable : celle d'un être désincarné et quelque peu hautain, abstrait des contingences du monde et exclusivement préoccupé d'analyser le fonctionnement de l'intellect et d'en découvrir les lois. Rendu à sa vérité ou plutôt à ses vérités, Valéry apparaît enfin tel qu'en lui-même. On le croyait éthéré, on découvre un être de chair et de passion, qui, encore étudiant, manque mourir d'amour pour une inaccessible dame de la haute société de Montpellier et qui, à l'approche de la cinquantaine, après vingt ans d'un mariage serein, entame une longue série d'histoires extraconjugales. C'est d'abord, de 1920 à 1928, la liaison torturée avec Catherine Pozzi. Trois ans plus tard, il s'éprend de la sculptrice Renée Vauthier, dont le cœur est pris ailleurs, puis d'Émilie Noulet, jeune enseignante belge qui lui a consacré une étude. Enfin, en 1938, à l'âge de soixante-sept ans, il tombe follement amoureux de Jeanne Voliton, avocate de trente-quatre ans, qui a été l'égérie de Saint-John Perse et de Giraudoux et qui a publié un roman sous le pseudonyme de Jean Voilier. En sept ans, il lui écrit près d'un millier de lettres enflammées, souvent assorties de poèmes élégiaques, parfois érotiques, qui ont été publiés en 2008 aux éditions de Fallois sous le titre Corona et Coronilla. Lorsque Jeanne lui apprend, en avril 1945, son prochain mariage avec Robert Denoël, il ne se remet pas de ce « coup de hache » et meurt le mois suivant.

Autre révélation, on pensait Valéry, paré assez tôt de l'habit vert et de la rosette de la Légion d'honneur, sûr de lui. On découvre un homme tourmenté, en proie très jeune à des crises morales ou même métaphysiques, dont l'une, la « nuit de Gênes », ébranle les fondements de son être. Un homme doutant de sa vocation, hésitant entre les lettres et les sciences et optant finalement pour des études de droit qui lui permettront d'entrer au ministère de la Guerre, en qualité de rédacteur de troisième classe... Un homme doutant même de ses dons, qui, après des débuts en poésie éblouissants, ne publie rien durant vingt ans, tout en continuant le travail « souterrain » des Cahiers, et affirme que l'écriture l'ennuie : « Je n'étais pas fait pour cela. » Un homme enfin inquiet du lendemain, ayant peur de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, et qui, surtout lorsque prend fin[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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