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VECCHIALI PAUL (1930-2023)

Né le 28 avril 1930 à Ajaccio, diplômé de l'École polytechnique, un court moment critique (Cahiers du cinéma, La Revue du cinéma), Paul Vecchiali a toujours occupé, depuis Les Ruses du diable (1965), une place à part dans le cinéma d'auteur d'après la nouvelle vague. Il se réclame à la fois d'Alfred Hitchcock, de Robert Bresson et de la tradition du « cinéma du samedi soir » chère aux années 1930-1950, ce qui en fait un réalisateur pour cinéphiles alors qu'il voudrait être apprécié d’un public populaire. En somme on peut le dire postmoderne et c'est pourquoi son cinéma nourrit les âpres affrontements esthétiques des décennies 1970-1980, période en laquelle se concentrent ses films les plus passionnants.

Ayant beaucoup aimé tourner pour la télévision en tant que simple metteur en scène attaché aux productions les plus populaires (nombreux volets de Série noire en 1984, vingt épisodes du sitcom En cas de bonheur en 1989, des adaptations de Guy des Cars, des téléfilms de la série Imogène...), Paul Vecchiali aborde le cinéma d'auteur en tant que praticien des genres traditionnels ; fantastique (L'Étrangleur, 1970), comédie musicale (Femmes, femmes, 1974), porno classé X (Change pas de main, 1975), Histoire (l'épuration à la Libération : En haut des marches, 1983), film psychologique (les problèmes de couple : Trous de mémoire, 1984), romanesque (Corps à cœur, 1978), comédie de mœurs (C'est la vie, 1980), mélodrame (Rosa la rose, fille publique, 1985), cinéma social (la peine de mort : La Machine, 1977 ; le sida : Once More, 1988)... Mais il traite les conventions et contraintes de ces genres en recourant à une imagerie très décalée ; ainsi Corps à cœur saisit l'esprit (et non les poncifs de l'anecdote) du roman-photo qui est aussi celui de la série B dont le récit tourne toujours autour de l'amour, de la mort et, forcément aussi, de leurs contraires, la solitude ou la vie. Vecchiali transforme en scénario de Bresson une histoire à la Jean Grémillon (pour la musique et l'amour fou). Il part du cliché (le concert, le garagiste et la pharmacienne, la ruelle pittoresque) pour se faufiler à travers les situations convenues et déboucher sur des sensations épurées.

Si le cinéaste a toujours choisi de tourner vite et beaucoup comme au temps de Julien Duvivier, il sait adopter à l'occasion un style esthétisant (Trous de mémoire est un film-séquence comme La Corde d'Hitchcock ; C'est la vie se déroule dans un lieu unique en carton-pâte ; Once More déconstruit des données théâtrales pour expérimenter de nouveaux agencements spatio-temporels) tout en conservant le ton populiste proche du quotidien des petites gens. Il exprime ainsi un univers personnel dont l'essence est celle du patchwork, mélangeant la rudesse de Jean-Pierre Mocky au monde enchanté de Jacques Demy et aux plaidoiries d'André Cayatte. Il sait filmer avec tendresse des personnages aux imaginaires de pacotille, composant des assemblages kitsch qui rapprochent la médiocrité des vies sans joie et l'intensité des désirs cachés, le tout étant filmé avec une certaine distance. On peut parler d'un naturalisme antiréaliste basé sur une esthétique de la pauvreté où entrent en ligne de compte des budgets extrêmement modiques paradoxalement mise au service du star system ; Vecchiali adore les acteurs, et Danielle Darrieux est magnifique en femme prisonnière de son passé dans En haut des marches.

Sommet de la carrière de l'auteur, ce film accuse en même temps l'impossibilité de faire longtemps du cinéma comme si quarante ans ne s'étaient pas écoulés. En fait la démarche de Vecchiali incite à la reproduction d'un genre plutôt qu'à sa résurrection vivante. Dès lors chaque œuvre de cette veine devient un objet curieux, comme un exercice « à la manière de » réalisé sans moyens[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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