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ZUMTHOR PAUL (1912-1995)

Que l'œuvre de Paul Zumthor représente une des plus importantes contributions du xxe siècle à l'étude de la société médiévale, dans ses représentations et ses formes symboliques, dans sa littérature, on n'en saurait douter.

Mais ce qui rend cette œuvre tout particulièrement attachante est le fait que, écrite dans la langue admirable d'un romancier et d'un poète, elle tient singulièrement à la personne de son auteur. Cosmopolite (de nationalité suisse, né à Genève en 1912, élevé en France, étudiant à la Sorbonne, douanier helvétique pendant la guerre, il enseigna aux universités d'Amsterdam puis de Paris-VIII-Vincennes, avant d'achever sa carrière en Amérique du Nord), ami des cultures et des langues (il était sans doute le seul médiéviste à maîtriser toutes les langues romanes, à parler le néerlandais et l'allemand, à savoir le japonais et le chinois), citoyen de l'universel (le Moyen Âge ne se limitait pas pour lui à l'évolution de la presqu'île eurasienne), Paul Zumthor eut pour principe l'appétit des savoirs et pour devise l'amour de leur diversité.

Paul Zumthor reçoit tout d'abord une solide formation de médiéviste à la Sorbonne, auprès de Gustave Cohen, puis une non moins solide initiation à la philologie romane, à Bâle, où il est l'élève du grand romaniste Walter von Wartburg : il rédige pour ce dernier d'innombrables notices du monumental Französisches-Etymologisches Wörterbuch, ce qui l'amène à publier une première étude fort originale consacrée à l'étymologie du mot... « étymologie ». Il est rare de joindre les recherches littéraires à la préoccupation grammairienne ; Paul Zumthor le fait pourtant, préparant du même pas une thèse sur Merlin l'Enchanteur dans les littératures du Moyen Âge, et une Syntaxe du français contemporain, cosignée avec le maître Wartburg.

Entamant sa carrière aux Pays-Bas, Paul Zumthor, alors jeune professeur, ne renonce pas à son désir de parcourir à grandes enjambées les champs du savoir. Année après année, une œuvre va se construire, qui constitue la plus belle traversée du monde médiéval. De cette œuvre multiforme, romanesque (Le Puits de Babel, 1969), poétique (Midi le juste, Points de fuite), traductrice (les Lamentations d'Abélard, et sa Correspondance avec Héloïse), historienne (des biographies de Charles le Chauve et de Guillaume le Conquérant, une Vie quotidienne en Hollande au temps de Rembrandt, un ouvrage de synthèse : Parler du Moyen Âge, 1980), universitaire, enfin (le célèbre Essai de poétique médiévale, 1972 ; Langue, texte, énigme, 1975 ; Le Masque et la Lumière, 1978 ; La Mesure du monde, 1993), on retiendra deux aspects dominants. Le goût des formes, tout d'abord, qui conduit Paul Zumthor à privilégier la lyrique courtoise, et à donner tous ses soins aux grands rhétoriqueurs, qu'il a magistralement réhabilités (au grand plaisir de l'Oulipo, dont il était l'ami) ; cette orientation formelle le convainc d'introduire la sémiologie dans les études médiévales : l'Essai de poétique médiévale célèbre les noces du médiévisme et de la pensée critique contemporaine. Les recherches sur l'oralité, ensuite, constituent l'autre fil rouge de l'œuvre, et le plus intime. Si l'oralité n'est jamais perdue de vue, même au cœur des analyses sémiotiques les plus formelles, les travaux spécifiquement consacrés à l'oralisme (Introduction à la poésie orale, La Lettre et la Voix, 1987) vont faire apparaître sur le tard, un prosélyte aimable jusque dans ses excès, n'hésitant pas à mettre en doute, l'existence d'une véritable « littérature » médiévale.

Cette œuvre multiple et forte, qui ouvrit des pistes que trois générations de médiévistes ont explorées, cette science érudite[...]

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Écrit par

  • : professeur de linguistique française à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

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