REGO PAULA (1935-2022)
Née le 26 janvier 1935 à Lisbonne sous la dictature d’Antonio Oliveira Salazar, Maria Paula Figueiroa Rego grandit dans une famille antifasciste, anticléricale et anglophile. Ses parents décident de l’envoyer en Angleterre afin qu’elle finisse librement sa scolarité secondaire et qu’elle poursuive un cursus artistique à la Slade School of Fine Art de Londres, ville où elle s’établira définitivement en 1976. Au cours de sa formation, elle fréquente les artistes de la School of London (Frank Auerbach, Francis Bacon, Lucian Freud, David Hockney, Michael Andrews, etc.) qui œuvrent au renouveau de la peinture figurative, et elle exposera avec certains d’entre eux en 1962 (« The London Group », Londres, Art Federation Galleries). Durant ses études, elle rencontre son futur époux, Victor Willing (1928-1988), peintre lui aussi, et dans l’ombre duquel elle travaillera longtemps.
Peintre, graveuse et sculptrice, Paula Rego crée un monde grotesque peuplé de figures monstrueuses, de femmes et d’enfants au corps robuste et au regard inquiétant, de chiens ricanant, d’insectes géants et de poupées désarticulées. Ce monde singulier trouve ses sources dans la littérature britannique (Charlotte Brontë, Lewis Carroll), la peinture de William Hogarth, Francisco de Goya, James Ensor ou Jean Dubuffet, mais aussi dans les comptines enfantines, l’opéra ou encore la psychanalyse jungienne. Le mélange des influences, propre à une relecture moderne des références du passé, produit des images ambivalentes et puissantes, dont on ne sait jamais très bien si elles sont issues de la réalité ou d’un cauchemar. L’univers de Paula Rego, très singulier dans l’histoire de l’art de la fin du xxe siècle, et qui souvent défie la morale traditionnelle par un sadisme récurrent, traduit son regard critique sur la dictature portugaise et la violence des rapports entre les deux sexes : « Mes thèmes de prédilection sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies. J’ai toujours envie de renverser la vapeur, de bouleverser l’ordre établi, de transformer les héroïnes et les imbéciles » (citée par S. Mansfield, « Paula Rego’s Interview », in The Scotsman, Édimbourg, 22 novembre 2019).
Dans les années 1960-1970, Paula Rego conçoit des peintures et collages ouvertement politiques à l’exemple de Salazar vomissant la patrie (1960, Lisbonne, musée Calouste-Gulbenkian), en réaction à la cruauté du régime autoritaire, ou Chiens errants (Les Chiens de Barcelone) (1965, Londres, galerie Victoria Miro), allusion au recours par les autorités de l’Espagne franquiste à la viande empoisonnée pour tuer les chiens des rues, au risque d’intoxiquer des populations souffrant de malnutrition. En 1975, elle obtient une bourse de six mois de la fondation Calouste-Gulbenkian pour étudier l’illustration du xixe siècle (Gustave Doré, Edmund Dulac, Jean-Jacques Grandville, Benjamin Rabier, Arthur Rackham, etc.) au British Museum et à la British Library. Associée à la lecture des textes des psychanalystes Bruno Bettelheim et Marie-Louise von Franz sur les contes de fées, cette recherche conduit l’artiste à réfléchir au regard porté par les enfants sur le monde et à modifier son approche esthétique au profit de figures massives et de compositions plus narratives et lisibles.
Au cours des années 1980-1990, Rego introduit dans des tableaux ambitieux des thèmes domestiques et familiaux nourris de son expérience comme fillette, femme, mère et épouse et du roman familial freudien. Le motif de la gamine rebelle devient central. Dans ces œuvres brutales, elle met en scène l’inconscient féminin et ses fantasmagories (série des Vivian Girls, 1984). En collaboration avec le graveur Paul Coldwell, elle illustre à l’eau-forte et à l’aquatinte des « Nursery Rhymes », ces chansons enfantines et souvent cruelles de la tradition orale britannique (édition Marlborough Graphics Gallery,[...]
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Écrit par
- Camille VIÉVILLE : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure
Classification
Média