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PAUPÉRISATION

Pour Marx, la paupérisation revêt deux formes différentes : la paupérisation relative et la paupérisation absolue. La première est le résultat de l'accroissement de productivité dans les industries produisant les biens de consommation ouvrière (wage goods) : la valeur de la force de travail s'en trouve diminuée et donc le taux de salaire (sans que la condition du salarié s'en ressente) pendant que le taux de profit est accru. Le « salaire relatif », la « position sociale relative » du salarié s'abaisse donc comparée à celle du capitaliste (Salaires, prix et profits). Quant à la paupérisation absolue, c'est le résultat de la loi d'accumulation du capital. Celle-ci accroît la division du travail et étend la prolétarisation (petits paysans, artisans, commerçants). L'accroissement des forces productives lié à la valorisation du capital ne cesse d'étendre l'emprise de celui-ci et de rendre de plus en plus pénibles ou misérables les conditions de travail (et même les conditions d'existence) du salarié (Le Capital, I, VII, xxv).

Ces notions ont soulevé des débats au cœur desquels la passion et l'apologétique (de Marx ou du capitalisme) l'ont emporté sur l'analyse objective. La paupérisation relative reformulée comme écart croissant des niveaux de vie est largement admise, et les études consacrées à la « pauvreté » dans les sociétés industrielles ne peuvent qu'en renforcer l'évidence. Mais il faut bien reconnaître qu'ainsi transposée elle n'a plus guère d'intérêt théorique. Certains marxistes, à la suite de Maurice Thorez (André Barjonet en particulier), ont voulu, gauchisant l'analyse de Marx, et contrairement à l'évidence, démontrer que le pouvoir d'achat de la classe ouvrière ne cessait de se réduire. Sur cette base, il était facile de répondre en dénonçant la prétendue erreur de Marx. La paupérisation absolue retrouve son sens et son intérêt si l'on ne déforme pas la pensée de Marx.

En ce qui concerne les conditions d'existence, nul ne saurait nier l'accroissement du volume absolu des consommations ouvrières et, en effet, Marx n'a jamais défini la paupérisation en termes de pouvoir d'achat. La paupérisation tient à l'articulation de l'accumulation et des conditions de détermination des salaires : le salaire est fixé « au niveau conforme aux besoins de la mise en valeur du capital » (Le Capital, I, I, xxv), c'est-à-dire renouvellement de la force de travail, incitation au travail supplémentaire, ce qui, pour les travailleurs, constitue des débouchés, mais ne correspond pas à des besoins, ces derniers étant toujours supérieurs aux premiers. La paupérisation tient dans cet écart car tout individu qui ne satisfait pas ses besoins objectifs (lesquels sont historiques) s'appauvrit tout comme celui qui ne consomme que 1 800 calories si l'équilibre de son métabolisme de base en exige 2 100. En ce sens, la paupérisation se réalise à chaque moment indépendamment de sa propre évolution, et constitue à chaque moment un élément essentiel de la dynamique du capitalisme.

On peut alors projeter l'évolution de la paupérisation dans le temps : l'appareil de production crée des besoins sans cesse nouveaux chez les travailleurs (surtout en liaison avec l'urbanisation qu'il renforce) et en même temps la valorisation du capital peut exiger que des besoins nouveaux soient satisfaits. La paupérisation se poursuit tant que les deux niveaux (besoins de la valorisation du capital, besoins des travailleurs) ne coïncident pas, exactement comme l'augmentation éventuelle de la consommation de 1 800 à 2 100 calories ne supprime pas l'appauvrissement si le seuil d'équilibre est passé dans l'intervalle de 2 100 à 2 300 calories.

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  • : professeur à la faculté de sciences économiques de Grenoble, président de l'Institut de sciences mathématiques et économiques appliquées, Paris

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