PÉCHÉ ORIGINEL
Exploitations philosophiques
Kant
Kant s'est intéressé à plusieurs reprises au récit de la chute dans la Genèse. Le texte lui fournit d'abord matière à une explication des débuts de la civilisation dans l'espèce humaine. Même si le premier homme a pâti, comme il était fatal, de ses expériences nouvelles, sortant des limites étroites mais sûres de l'instinct, s'il y a trouvé la souffrance, la prévision de ses maux futurs, la possibilité de la guerre, tout cela était la condition d'un progrès. L'espèce a profité de ces déboires (Conjectures sur le début de l'histoire humaine [Muthmasslicher Anfang der Menschengeschichte], 1786). Mais c'est surtout par sa théorie du mal radical dans la nature humaine que Kant se rapproche de la doctrine du péché originel : mal radical, qui est à la racine de tous les autres, non pas mal extrême et systématique, bien qu'il y ait une malice cachée même dans le meilleur des hommes (La Religion dans les limites de la simple raison [Die Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft], t. I, 1793). Il y a une disposition au bien dans la nature humaine ; il s'y trouve également un penchant au mal. Ce ne peut être une propriété nécessaire de notre nature ; ce doit être un penchant acquis, mais que l'on retrouve toujours, si haut que l'on remonte dans la vie d'un individu, et que l'on peut appeler inné. C'est là un fait universel qu'il faut expliquer. Le mal moral ne peut être l'effet que de la volonté libre individuelle. L'obligation de la loi fait conclure nécessairement à la possibilité de l'observer et à la responsabilité coupable de la transgression. Le penchant au mal vient d'un acte libre, d'une décision de ne pas observer la loi, qui ne se situent pas dans la série temporelle des faits soumis à notre expérience. C'est un acte intelligible qui se rapporte, en dehors du temps, à la réalité nouménale, distincte de la réalité phénoménale. Ainsi tout le mal que chacun commet dans le temps lui est pleinement imputable. Mais l'acte même de la décision libre est insondable, comme l'exprime symboliquement la présence du tentateur dans le récit biblique.
Cette théorie du mal radical n'est pas à proprement parler une doctrine du péché originel. Kant lui-même ne reprend pas ce terme et parle d'un péché « originaire » qu'il distingue d'un péché « dérivé », à peu près comme la décision initiale se distingue de son exécution. Il repousse l'explication du mal par un héritage et se borne à constater l'universalité du fait d'expérience. Néanmoins Kant a repris, en citant plus d'une fois les paroles de l'Écriture, un certain nombre d'affirmations jouant un rôle dans les exposés classiques sur le péché originel : universalité du péché, impuissance à faire le bien, perversité du cœur, que ne doit pas masquer le fait d'une conduite extérieurement morale. Surtout il a exploité le récit de la chute, dans la Genèse (chap. ii et iii). Il note bien à cette occasion qu'il ne se soucie pas de ce que l'auteur biblique voulait enseigner, qu'il se borne à utiliser philosophiquement un texte qui autrement ne serait pour lui d'aucun profit. Derrière ces protestations qui devaient le protéger de la censure royale, Kant dissimulait-il le sentiment d'une correspondance assez fragile entre le récit biblique et son propre système ? Quoi qu'il en soit, il a manifesté les richesses psychologiques profondes de cette histoire, au lieu de la ranger parmi les légendes enfantines ou de la reprendre à la lettre.
Hegel
Pour Hegel, qui est revenu plusieurs fois sur la question du péché originel, il ne s'agit pas d'une histoire contingente, mais d'une histoire nécessaire, de l'histoire éternelle de l'esprit humain dans son[...]
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Écrit par
- André-Marie DUBARLE : ancien professeur d'exégèse biblique au couvent dominicain du Saulchoir
- André DUMAS
: pasteur, président du journal
Réforme
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