PÉDAGOGIE Le statut
Ainsi que le remarque Pierre Gréco (cf. pédagogie - Les problèmes de l'éducation scolaire), ni l'appel à l'étymologie ni l'inventaire, même méthodique, des multiples emplois du terme « pédagogie » ne sont d'un grand secours pour qui tente d'établir le statut d'un concept et d'une discipline au sujet desquels la seule certitude autorisée, en cette fin du xxe siècle, est que ce statut, évident cent ans plus tôt, ne va plus désormais de soi.
N'attribuons donc pas au détour étymologique la prérogative de rendre raison du sens. Accordons-lui cependant que, sur un point, il nous permet un rappel suggestif. Il aide à souligner, dès l'abord, l'insistance, dans notre civilisation héritière des Grecs, de la métaphore, aujourd'hui lexicalisée, de l'agogie. L 'élevage humain, la culture des petits d'hommes et même, par extension, la culture des plantes sont imaginés prioritairement comme une guidance, un transport, une direction, voire une extraction. Car cette locomotion d'un lieu vers un autre ne se résout pas au seul mouvement d'un acteur. Ce dernier est un mobile, sujet-objet d'un déplacement. Tout éduqué, en quelque sorte, est une personne déplacée qui, sous la conduite d'autrui, a dû quitter un « lieu » pour en gagner un autre.
Simple jeu d'images auquel peut s'en substituer d'autres, attestés tout autant dans nos manières de dire ? Sans aucun doute. Mais, si l'on suit Jacques Derrida dans sa théorie de la métaphore (1972), précisons que, morte comme image, cette métaphore agogique recèle peut-être la structure imaginaire sur laquelle s'édifie la pensée occidentale de l'éducation, avec la priorité qu'elle accorde à l'espace occupé par un mouvement conduit, dès lors empêchée d'appréhender et de concevoir autrement les choses. Certaines langues africaines, par exemple, n'ont pas l'équivalent d'un tel terme. Leur pensée, tout investie de l'imagerie horticole de l'enfant à cultiver, ne reçoit pas comme allant de soi notre propre « métaphore blanche ». Nous voici alertés sur notre lieu commun, étonnés peut-être qu'il ne dise pas l'universel autant que nous l'imaginions.
Dans l'usage fixé au cours du xixe siècle, le nom commun « pédagogue » en est venu à désigner plus particulièrement les professionnels de l'éducation, et notamment de l'éducation scolaire. Il évoque donc d'emblée technicité et professionnalisme. L'adjectif, en revanche, comme dans l'expression suivante : « en une circonstance délicate, ces parents se sont révélés pédagogues », permet de retrouver le sens plus général, à travers lequel s'établit le rapport classique entre pédagogie et éducation.
Précisons cependant que dans de nombreux cas les deux termes, et plus encore les qualificatifs « pédagogique » et « éducatif », sont donnés les uns pour les autres en une grande absence de rigueur, ne serait-ce que parce que les règles du « bien écrire » proscrivent les répétitions, et, de ce fait, imposent à la pensée la substitution de termes analogues. Dans l'exemple cité, que vient ajouter « pédagogue » ? Sans doute signifie-t-il que les parents en question, dans leur rôle d'éducateurs, ont fait montre d'un surcroît d'intelligence de leur pratique, par une certaine manière qu'ils auront eue de « dépasser les tâtonnements empiriques que la pédagogie a précisément pour objet de réduire au minimum ».
Cette dernière formule n'est autre que le commentaire, classique et toujours actuel, que propose Émile Durkheim, dans le Nouveau Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson (1911), des rapports entre l'éducation, qui est chose à pratiquer et que l'on pratique effectivement bien ou mal, et la pédagogie,[...]
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Écrit par
- Daniel HAMELINE : professeur honoraire de l'université de Genève
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- Écrit par Daniel HAMELINE
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