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PÉDAGOGIE Les approches contemporaines

1965-1975 : les pédagogues désenchantés

La suite du troisième quart du siècle sera l'ère de la désillusion, que les « événements » de mai 1968 viendront marquer de leur ambivalence. Tout d'abord, le consentement sur les valeurs de modernité se révélera fragile. La pratique enseignante, à leur égard, sera celle du « oui, mais... ». Au nom d'orthodoxies diverses, voire opposées (marxisme avec G. Snyders : Où vont les pédagogies non directives ?, 1973 ; psychanalyse avec A. Stéphane : L'Univers contestationnaire, 1969 ; humanisme traditionnel avec G. Gusdorf : Pourquoi des professeurs ?, 1963), des théoriciens se lèveront pour dénoncer les ambiguïtés de l'éducation nouvelle en ses prolongements interminables. On rappellera les incertitudes de la pédagogie de la découverte, l'irresponsabilité des jeunes, l'illusion de la « spontanéité », l'indispensable structuration des connaissances et des esprits, les avantages de la mémoire, la nécessité des modèles. Il faut, certes, apprendre à apprendre, mais apprendre quand même des choses... Aussi bien en Belgique qu'en France ou en Suisse romande, les débats autour de la réforme de l'enseignement du français, langue maternelle (1970-1980), verront la montée des affrontements et des malentendus au fur et à mesure que l'on prendra conscience de la dimension sociopolitique du problème. La fonction de l'école, diront certains sociologues, après Basil Bernstein (1950) ou William Labov (1964), est de châtier les parlers des classes défavorisées, de promouvoir le parler des classes cultivées, prorogeant ainsi les privilèges de ces dernières (voir Bourdieu et Passeron, 1970). Quant à l'idée d'accorder la priorité pédagogique à l'enfant et à la vie de la classe, la grande masse des agents d'éducation n'y fait pas opposition ; cela ne l'empêche pas, dans la pratique, de rester centrée sur les contenus de connaissance, le plus souvent programmés de manière monodisciplinaire.

Il est vrai que, à l'échelle des systèmes d'enseignement, les stratégies d'innovation ont échoué. Pressés par les besoins quantitatifs, les pouvoirs publics ont investi dans la pierre, voire dans le préfabriqué. Le surgissement hâtif et improvisé d'« écoles-casernes » (F. Oury et J. Pain, 1971) fait passer brutalement à l'ère industrielle le traitement du potentiel intellectuel des sociétés. L'« exportation » des modèles occidentaux dans les pays en développement s'effectue le plus souvent au détriment des cultures et des économies locales. Les impératifs de la croissance requièrent une pédagogie de dépistage et de formation préférentielle des « élites », en même temps qu'une élévation du niveau général d'éducation des masses. Pour réaliser cette élévation, les impératifs de l'heure conduiront à multiplier et à vulgariser une formation conçue pour être élitaire. Ainsi en arrive-t-on à des impasses : le thème de l'égalité des chances sera de plus en plus verbalement invoqué, dans la mesure où l'on constatera que, malgré d'indéniables progrès dans la démocratisation, les privilèges des privilégiés augmentent en proportion plus grande. Il s'ensuit aussi un décalage, de plus en plus cruellement ressenti par les activistes de la pédagogie, entre les nécessités de la mise en système de l'éducation de masse et les exigences de la formation à échelle humaine. Enfin surgissent les conflits entre l'innovation planificatrice suscitée d'en haut, réforme après réforme, et l'innovation sauvage née des impatiences d'une base de pédagogues minoritaires de plus en plus radicalisés. On trouve, en France, une illustration parlante de ce divorce dans le fait qu'en 1972 les Cahiers pédagogiques, qui[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de l'université de Genève
  • : professeur des Universités en sciences de l'éducation à l'université de Paris-X-Nanterre

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