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PÉDAGOGIE Les problèmes de l'éducation scolaire

La pédagogie comme fonction sociale

Enfin, il serait déraisonnable de ne pas garder présente à l'esprit l'idée que la pédagogie est une fonction sociale, une fonction pour la société que la société accomplit aussi bien par des institutions ad hoc que par les déterminations, moins immédiatement apparentes parfois, mais non moins effectives, qu'imposent son système de production, son statut économique, ses standards culturels et l'image qu'elle se donne de son propre avenir. Il ne s'agit pas ici d'indiquer cette évidence écrasante, mais de montrer qu'il faut la prendre en compte pour chacun des problèmes évoqués précédemment. Il n'est pas raisonnable, par exemple, de poser le problème de la formation des maîtres en termes de connaissances, de capacités didactiques et de personnalité en ignorant ou en laissant à d'autres instances le soin de définir le statut du maître dans la communauté scolaire, universitaire et sociale ; pour parler plus crûment, les questions concernant la rémunération des enseignants, leurs conditions de travail ne sont pas des questions corporatives ou syndicales seulement : ce sont des questions pédagogiques à part entière, et non des à-côtés ou des en deçà. Pareillement, il serait intellectuellement malhonnête d'ignorer que le choix d'un contenu de programmes (et a fortiori la définition des curricula, le système de certification et de contrôle des connaissances, etc.) n'est pas un problème socialement neutre, dont la solution ne dépend que de l'état de la science, des données de la psychologie et des techniques statistiques de la docimologie. C'est dire en définitive que les problèmes pédagogiques non seulement « débouchent sur » des problèmes politiques et sociaux – ce dont on convient volontiers –, mais que, pris à une certaine échelle et à un certain degré de profondeur, ils sont tous des problèmes politiques. La pédagogie est un art de la cité.

Un art ambigu, sans doute, et peut-être plus que toute autre fonction sociale, en raison à la fois de sa finalité et des conditions concrètes que la cité impose à son accomplissement. À cet égard, on ne s'étonnera pas de ce que tout système pédagogique repose sur une contradiction permanente entre les tentatives ou les tentations de la reconduction et de l'innovation. Reconduction, car il n'y aurait sans doute pas de pédagogie sans un héritage à transmettre, sans l'inéluctable devoir qui est fait aux adultes, détenteurs de la culture et du pouvoir, d'y préparer et d'y intégrer les « mineurs », jeunes ou mineurs sociaux. Innovation aussi, non par simple souci de modernisme ou d'humanisme, parce que cette intégration, même très contraignante, aboutit inévitablement à modifier les conditions du jeu social. Ces problèmes n'ont rien de « moderne », simplement les formes de la vie moderne les ont rendus plus dramatiques et plus urgents. La dialectique, avec ses conflits et ses incertitudes, ses improvisations et ses déchirements, est l'étoffe même de la pédagogie, parce qu'elle est déjà l'étoffe même de l'histoire et de la vie des sociétés. À ce drame ou à cette épopée, il serait naïf de penser que la pédagogie participe autrement, ou davantage, que n'importe quelle autre pratique sociale engageant l'avenir, et prétentieux pour l'éducateur de croire qu'il est autrement concerné que n'importe quel citoyen. Envisagée ainsi, la pédagogie, cette inévitable utopie qui revient à chercher perpétuellement les moyens de grimper sur ses propres épaules, n'est plus l'affaire de tous. Les sociétés ont les pédagogies qu'elles méritent. On aura peut-être laissé entendre que cette formule n'est, en aucune manière, un plaidoyer pour le statu quo, ni un appel à la résignation.[...]

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  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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