PÉDAGOGIE Pédagogie et pouvoir
En affirmant que « l'éducation peut tout, puisqu'elle fait danser les ours », Leibniz exprimait une croyance en la toute-puissance de l'éducation que la philosophie des Lumières devait, en Occident, porter à son paroxysme au xviiie siècle, mais dont on trouverait des exemples à toutes les époques au sein de l'intelligentsia. Il n'est pas exact, en effet, que la confiance témoignée à la pédagogie comme force politique et sociale soit la caractéristique exclusive des intellectuels qui ont exprimé un projet de transformation radicale de la société, tel que celui dont furent porteurs le mouvement d'émancipation des bourgeoisies européennes à partir du xviiie siècle, ou le mouvement ouvrier à partir de la seconde moitié du xixe siècle : il suffit, par exemple, de songer à l'idéal confucéen et mandarinal de l'éducation conçue comme art minutieux de la formation du « gentilhomme lettré » (junzi) pour s'apercevoir qu'une classe de fonctionnaires du rituel et de l'administration, tout entière définie par les services rendus à la stabilité de l'appareil d'État et à la conservation de l'ordre établi, a pu développer une idéologie – et presque une religion – du salut par la culture qui ne le cède en rien à la philosophie de l'Aufklärung en fait de confiance illimitée dans les pouvoirs de l'éducation. C'est sans doute une caractéristique assez générale des groupes intellectuels, nonobstant la variation de leur position sociale dans les différentes civilisations, que d'attendre de la rationalisation du travail d'éducation, c'est-à-dire de la pédagogie entendue comme technique sociale autonomisée et spécialisée, certains effets sociaux qui auraient, par eux-mêmes, assez de puissance pour fonder, contrôler ou même renverser une organisation sociale, une forme de civilisation ou un pouvoir politique. Cependant, s'il est vrai que les recherches empiriques démontrent l'extraordinaire pouvoir de transformation culturelle que recèle l'action exercée sur les individus par une instance pédagogique, il ne faut peut-être pas préjuger trop vite de l'indépendance du pouvoir pédagogique à l'égard des autres pouvoirs sociaux, y compris du pouvoir politique : il est certes légitime de se demander si le pouvoir de procéder, de manière systématique et méthodique, à la formation des nouvelles générations ne pourrait pas, surtout dans des sociétés comme les sociétés occidentales où ce pouvoir a affirmé sa spécificité et son autonomie en s'institutionnalisant comme système universitaire, représenter une force de subversion par rapport à l'ordre établi ou, au moins, fonctionner comme une force de changement ; mais c'est alors à l'histoire et à la sociologie de répondre en analysant, par la comparaison et par l'enquête, les bases sur lesquelles repose l'autorité pédagogique, état de fait toujours présupposé, même dans les utopies pédagogiques les plus libertaires.
Le pouvoir de la pédagogie
La productivité du travail pédagogique
L'étude expérimentale de l'apprentissage comme la sociologie de l'éducation montrent que, parmi les actions d'influence (exhortation, commandement, prophétie, propagande, etc.), l'action pédagogique proprement dite est celle qui exerce l'influence la plus profonde et la plus durable sur la personnalité culturelle des individus, parce qu'elle transmet, au travers d'un capital d'informations, les principes agissants d'une formation. Disposant de ces moyens spécifiques qu'autorisent la durée et la continuité – répétition de l'exercice, progressivité de l'acquisition et contrôle des résultats –, l'action pédagogique diffère des actions d'influence ponctuelles ou sporadiques en ce qu'elle réussit à inculquer aux individus un ensemble organisé de[...]
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Écrit par
- Jean-Claude PASSERON : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences socialesdirecteur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média
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