ALMODÓVAR PEDRO (1949- )
Une méditation sur la création
L'émotion, qui n'est pas le registre sur lequel Almodóvar sut d'emblée travailler, trouve véritablement sa voie à partir de Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? – où il évoque ses origines sociales, transposant ses souvenirs familiaux dans sa capitale d'adoption – et s'épanouit avec La Loi du désir (1987), où il raconte la vie amoureuse agitée d'un cinéaste à la mode. Réalisme et stylisation s'unissent en un mouvement baroque dans ce film-phare qui porte à son point d'incandescence la violence des sentiments, dont Almodóvar a dit ici, mieux que jamais, qu'elle se nourrissait pour ses personnages d'une énergie sexuelle aussi frénétique que souvent frustrée.
La Mauvaise Éducation sera l'occasion d'approfondir des sujets semblables, à travers l'histoire d'un cinéaste qui se laisse volontairement manipuler par un jeune comédien se faisant passer pour un camarade de collège dont ce cinéaste avait été amoureux. La loi du désir est ici, plus clairement encore, mise en parallèle avec la loi du désir de créer : c'est parce qu'il veut faire un film à tout prix, alors qu'il est en panne d'inspiration, que le personnage du réalisateur accepte d'entrer dans le jeu de l'usurpateur. De la même façon, la vie affective et sexuelle de Leo, la femme écrivain de La Fleur de mon secret (1995), suit la courbe de sa créativité : l'une et l'autre tournent au fiasco. Leo ne pourra aimer à nouveau qu'en renonçant à écrire les romans à l'eau de rose qu'elle signait sous un pseudonyme.
Ces deux films prennent la forme d'une méditation intime, sinon d'une confidence : Almodóvar reste, malgré sa médiatisation, un personnage secret, peu enclin à se livrer véritablement, sinon par personnages interposés. Ici, il nous montre des créateurs qui doivent préserver leur passion, pour faire des films ou écrire des livres, car c'est la seule façon d'y parvenir : en mettant en jeu son équilibre personnel, sa vie même, sa santé physique ou mentale, en acceptant de souffrir, en allant au bout de sa solitude. Cette passion est une profession de foi. Résonnent alors les mots de Truman Capote, tirés de la Préface de Musique pour caméléons, que le jeune apprenti écrivain demande à sa mère de lui lire dans Tout sur ma mère : « J'ai commencé à écrire quand j'avais huit ans. À ce moment-là, je ne savais pas que je m'étais enchaîné pour la vie à un noble mais implacable maître. Quand on reçoit un don de Dieu, il nous remet aussi un fouet ; et le fouet, c'est uniquement pour s'autoflageller. »
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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