ARRUPE PEDRO (1907-1991)
Le vingt-septième successeur d'Ignace de Loyola n'était pas seulement originaire du Pays basque comme le fondateur de la Compagnie de Jésus. Pedro Arrupe ressemblait à ce dernier de façon étonnante — le même profil, la calvitie, la maigreur ascétique et le regard de braise —, mais il avait surtout le même désir de ramener ses contemporains aux valeurs de l'Évangile, en épousant les aspirations de son temps. Ignace, premier des Modernes, avait su mettre l'esprit de la Renaissance — l'humanisme, la science, les grandes découvertes — au service de la « plus grande gloire de Dieu ». Pedro Arrupe, lui, saura traduire les intuitions du concile Vatican II (1962-1965) — la liberté religieuse, l'œcuménisme, la réconciliation de l'Église et du monde moderne — dans l'action des trente-six mille jésuites, dont il devint le supérieur général en 1965. Le maître mot, pour Ignace comme pour Pedro, était l'« inculturation » : l'adaptation du message évangélique à une culture donnée.
Né à Bilbao le 14 novembre 1907, Pedro Arrupe y Gondra était le cinquième enfant, et le seul fils, d'un foyer de solide tradition chrétienne. Son père, architecte, fut l'un des fondateurs du journal catholique La Gaceta del Norte. Entré à la faculté de médecine de Madrid, Pedro, très marqué par un pèlerinage à Lourdes et par son travail auprès des pauvres de Madrid, interrompit ses études pour entrer dans la Compagnie de Jésus en 1927. Il était encore scolastique (dans la cinquième année d'une formation qui en comptait quinze à l'époque) lorsque la République espagnole expulsa les jésuites du pays. Après la Belgique, pour sa philosophie, puis les Pays-Bas, pour sa théologie, il fut envoyé aux États-Unis, où il fut ordonné prêtre en 1936.
Pedro Arrupe hésitait entre l'exercice de la psychiatrie et son vieux rêve de partir en mission au Japon. C'est à Cleveland que la lettre du père général lui apporta l'autorisation de se rendre au Japon, et il partit en 1938, comme missionnaire, avant d'être nommé maître des novices, puis recteur du noviciat. « Mes vingt-sept ans dans ce pays m'ont apporté de multiples expériences, raconta-t-il par la suite, et notamment celle d'avoir vécu l'explosion atomique d'Hiroshima ; expérience unique, en vérité, que de voir mourir quatre-vingt mille personnes en une seule journée, et d'assister, pendant les douze mois qui suivirent, à la lente agonie de cent vingt mille autres victimes de la même explosion. » C'est au Japon que le père Arrupe renoua avec les origines de la Compagnie en pratiquant l'inculturation. Nommé vice-provincial du Japon en 1954, puis provincial en 1958, il accrut le rayonnement de l'université catholique de Tōkyō et publia plusieurs ouvrages de spiritualité en japonais, notamment des œuvres de saint Ignace. « Quels chemins devais-je suivre pour atteindre l'âme japonaise ? », se demandait-il. Aimant prier assis en tailleur, « à l'orientale », le père Arrupe renversait l'ancienne méthode : pour atteindre l'autre, il faut d'abord entrer dans sa mentalité et l'aimer pour ce qu'il est. Selon lui, l'inculturation « exige une trans-culturation, c'est-à-dire une ouverture et un échange avec les autres cultures, qui exige elle-même une dé-culturation partielle, c'est-à-dire une mise en question de certains aspects de sa propre culture ».
Poussant le raisonnement plus loin, il affirmait la nécessité d'une telle approche dans tous les pays, y compris ceux de la vieille chrétienté : « Une inculturation constante et nouvelle de la foi est indispensable si nous voulons que le message évangélique atteigne l'homme moderne et les nouveaux groupes subculturels (les marginaux, les émigrés, les habitants des quartiers pauvres,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain WOODROW
: rédacteur au supplément radio-télévision du journal
Le Monde
Classification