CALDERÓN DE LA BARCA PEDRO (1600-1681)
Un théâtre baroque
Goethe, Schiller, Schlegel ont su reconnaître, par-delà les aspects désuets ou exotiques du drame de Calderón, sa forme exemplaire et son contenu profondément humain ; le romantisme européen en a tiré parti dans sa lutte contre l'étroite formule classique. Aujourd'hui, c'est l'aspect baroque de ce théâtre que l'on retient de préférence.
La pièce caldéronienne s'intègre à un ensemble, le spectacle, où les éléments lyriques, et même chorégraphiques, et la mise en scène jouent aussi leur rôle. La distance s'accroît entre le public, devenu passif en son admiration, et les planches, où des êtres comme irréels, magnifiquement vêtus, parlent entre eux un langage hermétique, somptueux, sublime. C'est trop d'illusion comique ; aussi Calderón s'emploie-t-il à détromper son auditeur et à le réveiller afin qu'il applique la leçon du drame à son cas personnel sans quoi le spectacle perdrait sa raison d'être.
Lorsqu'il s'agit d'une comédie de cape et d'épée, le sens littéral est doublé d'un sens moral aisément perceptible : les jeunes gens qui jettent leur gourme et les filles à marier créent un désordre dans les familles et dans les rues que le mariage fait cesser, sanction à la fois divine et sociale. Dans la comédie historique ou politique, la restauration de l'ordre divin se fait par le moyen du meurtre ou de la guerre, même si l'individu innocent doit périr. La comédie philosophique remet à leur place l'être et le paraître, l'essence et ses aspects contingents ; elle fait entrevoir le Dieu caché qui donne un sens aux errements des personnages, et donc une justification aux compromis par quoi nous achetons notre paix spirituelle. Dans les pièces mythologiques, les dieux querelleurs révèlent au dénouement leur condition d'entités fictives et provisoires, fantoches dans les mains du Dieu inconnu.
Calderón emprunte cette cosmogonie, cette théologie et cette anthropologie à saint Thomas, à saint Augustin et à leurs exégètes universitaires espagnols du xvie siècle. Elles n'ont rien d'original si ce n'est la forme dramatique et le style qu'il a su leur donner.
D'abord, il crée des personnages en fonction du thème choisi. En vain y chercherait-on une cohérence psychologique : ils doutent, ils s'égarent, ils se trompent sur eux-mêmes et sur les autres, et si la lumière se fait en eux, ce n'est pas l'effet de leur raisonnement, c'est qu'ils sont soudain éclairés par la grâce de Dieu. Ou bien ils sont victimes de leur embrouillamini, de l'imbroglio créé par leur esprit de système, leur égocentrisme, leur orgueil : les coups de théâtre qui les déconcertent soulignent dramatiquement leur ineptie. L'alternance de ces moments forts – péripéties tragiques – et de moments faibles – récits épiques et morceaux lyriques – donne un rythme secret à la pièce. En outre, les trois actes sont faufilés par des moments – éclairs où surgit et resurgit le sentiment d'une harmonie latente, secrète, au sein de la confusion, et qui annonce l'heureux dénouement final. L'intrigue se passe partout et nulle part : le lieu unique, c'est l'esprit même des spectateurs. Le temps s'étire sur des siècles ou sur des journées ; car sa notion est abolie tout comme dans nos rêves ; et la tragi-comédie n'est au fond qu'une sorte de rêve collectif, organisé pour l'ensemble du public. L' action est le plus souvent double ; la superposition de deux intrigues donne une apparence de profondeur, une perspective illimitée au tableau dramatique à douze ou seize personnages, microcosme forcément superficiel.
Tel est le traitement dramatique que Calderón fait subir au réel, à la fois concret et onirique, tel qu'il le perçoit, tel qu'à[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Charles Vincent AUBRUN : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur de l'Institut d'études hispaniques de l'université de Paris
Classification
Média
Autres références
-
AUTO SACRAMENTAL
- Écrit par Marcel BATAILLON
- 3 125 mots
- 1 média
Avec Pedro Calderón de la Barca, la dramaturgie espagnole, sans s'astreindre aux sacro-saintes « unités », atteint à une perfection qui est surtout maîtrise dans l'agencement des intrigues comiques ou tragiques. De plus en plus il émerveillera ses contemporains par cet art de « proposer, objecter et... -
COMEDIA, Espagne
- Écrit par Charles Vincent AUBRUN
- 2 605 mots
...actrices. Au début de son règne s'épanouit la comédie de cape et d'épée, joyeuse avec ses aventures galantes, ses rixes et ses sérénades. Le jeune Calderón de la Barca y affûte une nouvelle dramaturgie, rapide, brillante, ponctuée de coups de théâtre (Dame ou fantôme, 1629). Le Mexicain Ruiz... -
ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Jean CASSOU , Corinne CRISTINI et Jean-Pierre RESSOT
- 13 749 mots
- 4 médias
Son successeur dans la gloire, Calderón de la Barca (1600-1681), avec ses pièces comme avec ses autos sacramentales, qui sont des représentations liturgiques et théologiques, relève du conceptisme. Aussi sa vigueur dramatique aboutit-elle à tout instant à un lyrisme systématique d'une scintillante beauté.... -
LA VIE EST UN SONGE, Pedro Calderón de la Barca - Fiche de lecture
- Écrit par Bernard SESÉ
- 884 mots
- 1 média
Chef-d'œuvre du théâtre universel, La vie est un songe, de Pedro Calderón de la Barca, fut écrit en 1634-1635, sous le règne de Philippe IV, et publié à Madrid, en 1636. Les éléments esthétiques de la culture baroque, dont cette comedia est un témoignage éclatant, expliquent la...