PEINE DE MORT
Le sens et les conditions de la peine
Le droit de l'État face à la vie
La société, en la personne de l'État, a-t-elle le droit de supprimer la vie comme ultime sanction d'un crime impardonnable ? En agissant ainsi est-elle une légitime justicière ou devient-elle une abusive vengeresse ? Il est si facile ici de se faire l'avocat de principe d'une position catégorique qu'il faut sans doute d'abord élargir la réflexion. Nul ne conteste que la puissance publique a un pouvoir de contrainte, qui est interdit aux individus. Ce pouvoir s'arrête-t-il avant la mort ? Si l'on répond par l'affirmative, ce doit être que l'on voit un avenir encore possible pour le condamné et non pas que l'on mette une séparation radicale entre priver une personne de liberté à perpétuité et la priver de la vie. Car priver de liberté, c'est aussi faire mourir à petit feu. Une opposition de principe à la peine de mort implique donc à long terme deux éléments ; que la société envisage une réintégration et que le condamné aussi vive un changement, que l'on peut appeler en terminologie sociologique resocialisation, en termes psychologiques rééducation, en termes politiques autocritique, en termes religieux repentance. Ces deux exigences sont de grande valeur. Ce sont elles qui font de la pénalité non pas un résidu moderne des procédures d'extermination anciennes, mais une guérison collective. Les partisans de l'abolition de la peine de mort sont bien inspirés quand ils insistent sur ces deux exigences corollaires de leur position de principe. Sinon, leur position garde la faiblesse des déclarations émotionnelles. Elle reste à la merci d'une réaction de l'opinion publique, réclamant la punition de criminels qu'elle ne veut plus tolérer dans son sein. La rigueur intellectuelle veut que l'on réfléchisse ici aux cas les plus scandaleux : auteurs de génocide, criminels de guerre, responsables de tortures ou auteurs de rapts et de meurtres d'enfants, violeurs assassins en série. Car, dans un cas comme dans l'autre, se pose la question radicale : ce qui a été fait dans le passé autorise-t-il encore à envisager un avenir ? Il serait en effet contradictoire de s'opposer par principe à la peine de mort, tout en se déclarant soi-même incapable de vivre plus tard avec tel criminel. Les abolitionnistes interpellent donc la société, lui lancent un défi, à la fois magnifique et redoutable : la force existe-t-elle pour surmonter dans tous les cas le cri de la vengeance ? Est-on prêt à mettre cette force en œuvre en faveur de tous les criminels ? Si la réponse peut être positive, il est certain que la société fait collectivement un progrès considérable. Elle dépasse la vengeance, qui élimine, par la justice, qui réintègre.
Ceux qui sont pour le maintien de la peine de mort dans certains cas, comme raison ultime, ne croient pas à cette capacité de la société de reprendre ceux qui se sont définitivement exclus d'elle par la perversité, l'inhumanité ou la répétition de leurs crimes. Aux yeux des partisans de son maintien, la peine de mort tire les conséquences d'une situation irrémédiable. La nécessité de la sanction ultime l'emporte sur toute réintégration possible. C'est là une position moins exigeante pour la société que la précédente. Mais elle a aussi un avantage : elle tire les conséquences du refus du corps social de pardonner un passé. Car il serait grave que les sociétés contemporaines se prétendent plus humaines que les précédentes en abolissant la peine de mort, mais par contre se montrent en fait plus ségrégationnistes que bien des sociétés antérieures en vouant les condamnés d'abord à un régime pénitentiaire pourri, ensuite à une réintégration sociale interdite. Il y aurait une profonde hypocrisie à abolir la peine de mort sans changer les prisons et sans accepter aussi les risques[...]
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Écrit par
- André DUMAS
: pasteur, président du journal
Réforme - Michel TAUBE : président-fondateur d'Ensemble contre la peine de mort, éditeur, écrivain
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