PEINTURE ET POÉSIE. LE DIALOGUE PAR LE LIVRE (Y. Peyré) Fiche de lecture
Une fois n'est pas coutume, c'est un livre qui a donné naissance à une exposition, présentée successivement à Cambridge, à Lyon, à Paris (chapelle de la Sorbonne, du 27 mars au 29 juin 2002) puis à la New York Public Library (2006). L'ouvrage d'Yves Peyré, écrivain et directeur de la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, apporte un nouvel éclairage sur ces livres de rencontre entre peintres et poètes que l'on a trop souvent nommés de manière inexacte « livres illustrés » ou « livres de peintre ». Le livre de dialogue, ainsi désigné par Yves Peyré dans un souci de précision mais aussi de respect pour tous ceux qui l'ont fait naître, est apparu entre 1874 et 1876 à l'initiative de deux poètes visionnaires, Charles Cros et Stéphane Mallarmé, et d'un peintre, Édouard Manet, auxquels on doit les trois premiers livres de ce type : Le Fleuve (1874), Le Corbeau (1875) et L'Après-Midi d'un faune (1876). « Cette pratique, fastueuse dès l'origine, n'a fait que se renouveler, s'approfondir et se préciser », écrit l'auteur dans l'introduction de son livre. Il convient donc, selon lui, de considérer le livre de dialogue comme un moyen d'expression – un art à part entière, et de l'étudier en tant que tel. Cent vingt-six livres majeurs parus entre 1874 et 2000, tous d'expression française, conservés à la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, ont servi de base à cette étude rigoureuse. En contrepoint ont été sélectionnées un certain nombre d'œuvres d'art (gravures, épreuves d'essai, dessins, peintures, collages, etc.), toutes sur papier, permettant de mieux saisir le lien qui unit peintres et poètes dans leur quête de dialogue actif. Ce sont les plus belles alliances qui ont ici été retenues, celles où l'artiste et le poète vibrent à l'unisson. À la différence du livre de peintre où l'artiste illustre un auteur classique disparu depuis longtemps, voire un texte de moindre importance, le livre de dialogue exprime avant tout un équilibre entre le texte et les images, une réciprocité, une confrontation : « Le livre de dialogue est une grandeur qui tremble […]. Un peintre et un poète se sont mutuellement touchés à l'épaule, cela résonne en pleine page. L'image et les mots se tordent d'un seul élan, ils courent sur le papier. »
Nécessité d'un texte qui doit pouvoir se justifier à lui seul et n'être en aucun cas le prétexte à un décor, présence du peintre tout au long de la réalisation de l'ouvrage, nécessité d'une rencontre qui nourrira le rythme du livre, telles sont les conditions préalables au livre de dialogue. À celles-ci s'ajoutent des critères techniques : un tirage restreint confinant à l'unique (généralement entre 60 et 90 exemplaires, les tirages de 10 à 30 exemplaires n'étant pas exceptionnels), un papier artisanal, une typographie traditionnelle, une mise en page soignée, un procédé original de gravure. Toutefois, nombre de livres de dialogue n'obéissent pas à toutes ces contraintes à la fois : la liberté du peintre et du poète prévaut en la matière, eux seuls déterminent l'espace dans lequel s'établira leur échange, leur osmose. Loin de toute idée de luxe qui a conduit le livre de peintre dans une impasse, le livre de dialogue est en constant renouvellement, en perpétuel questionnement et nous renvoie imperceptiblement aux mystères de la création. L'intérêt de cette brillante étude, fruit de trente ans de recherche et de réflexion, écrite dans un style superbe et limpide, est d'avoir su dégager une catégorie de livres qui relèvent tant de l'histoire de la littérature que de l'histoire de l'art, trop souvent assimilée à bien d'autres formes telles que le livre à figures, le livre à frontispice, le livre de peintre, l'album, le livre d'artiste.[...]
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Écrit par
- Pascal FULACHER : journaliste, chargé de cours à l'École supérieure Estienne