PEINTURE Les théories des peintres
Théorie des peintres et analyse des œuvres
Les théories de Klee ont eu un intérêt considérable, non seulement pour les artistes, mais aussi pour le spectateur et l'historien lui-même. En posant de façon nouvelle le rapport des moyens techniques et du sens, elles montrent que le point, la ligne, la touche, les tons, la composition sont les véritables signes du peintre. En faisant la théorie de ces signes picturaux, Klee évite à l'historien d'assimiler purement et simplement le procès du sens dans la peinture à celui de la signification dans la littérature. Il l'oblige à toujours revenir à la spécificité de la « pensée figurative », à respecter l'originalité du domaine pictural, irréductible au domaine littéraire ou conceptuel, malgré les rapports qu'ils entretiennent.
Il faut se garder d'en conclure que seules les théories modernes, spécifiquement picturales, sont intéressantes. Les théories des peintres sont toujours éclairantes : au-delà du « sujet », elles permettent d'atteindre le « contenu » de l'œuvre, car elles montrent à quoi le peintre s'attache, ce sur quoi porte son effort de signification, de fabrication de sens.
Il peut être instructif d'étudier Greuze en se souvenant des indications de Klee, d'y chercher la multiplicité des chemins ménagés dans l'œuvre : L'Oiseau mort, La Cruche casséeont été ainsi « décryptés » dès le xviiie siècle. Après tout, un tableau classique « fonctionne » picturalement. De même, il est enrichissant d'analyser le « jaillissement idéel primordial » de Chardin. Il ne faut pas, pour autant, oublier d'ajuster l'interprétation moderne aux conditions historiques, qui soulignent la présence déterminante de l'Ut pictura poesis et qui permettent de retrouver l'impact réel que l'œuvre de Chardin ou de Greuze a pu avoir dans leur société. Car la connaissance des théories qui ont accompagné une œuvre permet de réactiver une sensibilité artistique disparue : que l'on pense seulement à l'expression, au rôle théorique qu'elle a joué et à l'émotion immédiate, aux torrents de larmes qu'elle pouvait susciter jadis.
Certes, l'histoire de l'art ne doit pas limiter ses analyses au domaine volontaire, conscient des œuvres du passé. Mais le décryptage sans arbitraire de leur contenu figuratif implicite ou inconscient n'est possible que si l'historien peut mener, parallèlement, un décryptage satisfaisant des textes théoriques, philosophiques ou artistiques. Ainsi, affirmer, à la seule vue des tableaux, que le colorisme, au début du xviiie siècle en France, symbolise la libération d'un carcan théologique, l'idée d'un monde en devenir, le sentiment de l'essence historique de l'homme, reste arbitraire tant que l'historien n'a pas montré que les textes philosophiques et esthétiques contemporains offrent un contenu implicite équivalent : cette tâche accomplie, le colorisme pictural se trouve replacé dans son contexte culturel pour y jouer la fonction précise dévolue à l'imaginaire figuratif. La peinture construit une image du monde où la pensée remplace le concept par une vision « poétique », c'est-à-dire qui donne l'être à son objet imaginaire ; de là, par exemple, le sens de l'éphémère, de la fragilité humaine, l'angoisse secrète qui accompagnent le colorisme de Watteau, peintre qui, par son œuvre, affronte et assume l'effritement de l'explication stable de son art et du monde.
Est-ce à dire que les textes théoriques « reflètent » le déroulement de l'histoire de l'art ? Ils les éclairent plutôt. Envisagé du point de vue de la problématique interne de la peinture, le luminisme ou le colorisme sont des solutions techniques à des problèmes techniques débattus depuis longtemps.[...]
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Écrit par
- Daniel ARASSE : agrégé de l'Université
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