PEIRE CARDENAL (1180-1278)
Né de parents nobles au Puy-en-Velay, une des capitales intellectuelles et religieuses du temps, Peire Cardenal appartient au siècle d'or occitan et compte parmi les plus intransigeants adversaires de la domination française et de la domination cléricale. Jusqu'à vingt ans, il étudie à l'université de Saint-Maiol, au moment où le fameux troubadour auvergnat Peire de Vic, dit le Moine de Montaudon, possède la seigneurie de la cour du Puy, célèbre par sa magnificence et son rayonnement intellectuel. Nanti d'une solide formation religieuse (Le Puy est alors le premier centre marial de la Chrétienté), intellectuelle et morale, il entre vers 1204 au service de Raimond VI de Toulouse, auprès de qui se trouvent également Raimond de Miraval, Aimeric de Peguilhan, Aimeric de Belenoi, Adémar le Noir, Gui de Cavaillon, Gausbert de Puycibot et bien d'autres. Il reste au service des Raimond. Il a commencé à « trouver » au Puy, il continue du temps de son séjour à Toulouse. Entre-temps, il s'est marié et a deux fils. Ayant fidèlement soutenu la cause des Raimond, il est sans protecteur à la mort de Raimond VII (1249). Il trouve alors probablement refuge dans l'une ou l'autre cour de seigneurs qui ont survécu aux luttes contre les croisés : Uc IV, comte de Rodez, Guiraud d'Armagnac, Gaston VII de Béarn, Roger Bernat III de Foix. Il s'établit enfin à Montpellier, où le roi d'Aragon Jacques le Conquérant, natif de cette ville, maintient une « belle cour de troubadours et de jongleurs » qui, à l'abri de l'Inquisition, continuent d'y chanter la civilisation du joi d'amor. C'est l'époque où étudient à Montpellier Raymond Lulle, Arnaut de Villeneuve, protecteur des spirituels, Pierre Olive, théologien et chef de file des spirituels, Matfre Ermengaud, futur auteur du Breviari d'amor. Il est possible que Cardenal ait enseigné à Montpellier et qu'il ait notamment été le maître de Matfre Ermengaud qui, dans son Breviari, évoque neuf fois Cardenal, « cet homme de très grande sagesse », en des termes qui sont ceux d'un disciple respectueux. Cardenal meurt sans doute à Montpellier, presque centenaire.
Peire Cardenal a vécu l'époque glorieuse de la civilisation du joi d'amor ; il a vécu en militant l'époque tragique des guerres de la croisade contre les comtes de Toulouse et les seigneurs occitans et contre l'esprit du joi d'amor, dite croisade des albigeois ; il a vécu, enfin, la période de la destruction progressive de cette civilisation du joi qui essaie de se survivre dans le mouvement des spirituels. Son œuvre commence par des chansons d'amour et se poursuit par des ouvrages essentiellement militants (sirventès, estribot, sermons) qui sont soit inspirés par la vie quotidienne à l'époque des comtes de Toulouse, soit d'allure plus éthique après 1249. Sincèrement catholique, Cardenal se révolte contre l'injustice des clercs qui accablent les hommes de sa langue. Il fustige les traîtres qui, par intérêt, se mettent du côté des Français. Il accable de ses sarcasmes ceux qui adoptent les mœurs venues de France (Aras es vengut de França). Lyrique et satirique — Alfred Jeanroy place Cardenal au premier rang parmi les satiriques de tous les temps —, l'œuvre de Cardenal est aussi une poignante épopée où l'on entend les cris d'agonie et la protestation véhémente d'une civilisation brisée par la force et étouffée par l'Inquisition. Avec Cardenal, le chant des troubadours, chant d'amour, se mue en un chant tragique, le chant qui marque le désespoir des peuples victimes de l'histoire.
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Écrit par
- Charles CAMPROUX : professeur honoraire à l'université Paul-Valéry, Montpellier
Classification
Autres références
-
OCCITANES LANGUE ET LITTÉRATURE
- Écrit par Pierre BEC , Charles CAMPROUX et Philippe GARDY
- 7 327 mots
- 1 média
...grand rôle poétique avec Bertrand de Born, poète de la guerre comme de l'amour. Mais c'est au xiiie siècle, le siècle de la croisade contre les Albigeois, le siècle de la résistance occitane, que le sirventès s'élève au niveau de la satire tragique et épique, avec Peire Cardenal surtout.