PÈLERINAGES & LIEUX SACRÉS
La société pèlerine
Une société de masse et de consécration
Dans l'analyse de la geste pèlerine, l'individuel et le collectif ont été jusqu'ici sinon confondus, du moins non différenciés. La réalité, d'ailleurs, est telle que, dans la société pèlerine, il n'y a pas de problème de distinction entre l'un et l'autre, car l'acte pèlerin est essentiellement un fait collectif. La société créatrice du pèlerinage est, en effet, la masse, celle-ci étant entendue d'un point de vue organique, beaucoup plus que quantitatif. Tout pèlerin qui se veut solitaire n'en participe pas moins d'un flux collectif puissant qui a élu le lieu sacré et qui est, dans le brut du vital, une force irrationnelle panique ; c'est-à-dire un groupe humain porté par une irrésistible pulsion commune – d'autant plus intensément qu'il est ou devient massivement plus nombreux –, entraîné, par une force qui le dépasse, à la recherche de sa propre sacralisation. Ce groupe, multiplié dans l'espace et dans le temps, constitue une société extraordinaire autant qu'éphémère. Extraordinaire à différents niveaux : en ce sens, tout d'abord, que cette société est, dans sa démarche à travers l'espace, beaucoup plus que nostalgique d'un « ailleurs » physique, une société itinérante en marche vers une terre de transfiguration ; en ce sens, encore, qu'à l'encontre de la société d'où part le pèlerin, et qui est cloisonnée et hiérarchisée, la société du pèlerinage est une société confondue, donc sans catégories ni différences, où les âges, les sexes, les hiérarchies, et même clercs et laïcs, se retrouvent dans une communion panique de ferveur, d'espérance, de lumière et de joie. Yahvé l'a dit à son peuple : « En présence de Yahvé ton Dieu tu te réjouiras, au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom : toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite établi en ta ville, l'étranger, l'orphelin et la veuve qui vivent au milieu de toi » (Deut., xvi, 11). La société de pèlerinage est extraordinaire en ce sens enfin, que la démarche pèlerine se vit comme une quête – marquée d'angoisse, d'exigence ou de mal d'absolu – soit de la plénitude physique, santé du corps et de l'âme, soit de l'éveil ou de l'accomplissement spirituel, des forces ou nourritures que ne donne pas la société dont, provisoirement, le pèlerin se sépare. Pour un temps seulement. La société du pèlerinage est, en effet, une société de l'éphémère. Elle ne dure que le temps de l'accomplissement du pèlerinage : rudes sont l'épreuve de l'espace et des rites multiples, et la double découverte de l'« autre » en soi et de la présence sacrale, trop transmuante en profondeur pour n'être pas un instant d'éternel. L'intensité de la rencontre pèlerine est le plus souvent en proportion inverse de sa durée : ses marques s'inscrivent en éclairs. D'autant plus imprégnante est, dès lors, la mémoire de l'éphémère vécu : elle établit, entre tous ceux qui furent « un » dans l'éphémère, une marque de reconnaissance ; elle se fait nostalgie et sauvegarde de l'extraordinaire au long du quotidien, le retour survenu. Dans les sociétés surtout, où sont intensément vécues, portées par une tension sotériologique profonde, la pratique et la valeur de certains grands pèlerinages, cette mémoire devient consécration sociale. Le retour du groupe pèlerin y est attendu comme une grâce commune ; sur le chemin de ce retour, quand celui-ci se fait à pied, nombreux sont au bord des chemins, les habitants des pays traversés à célébrer la geste de ces va-nu-pieds de l'extraordinaire. Surtout, les remous du retour apaisés, une dignité demeure, un nom : [...]
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Écrit par
- Alphonse DUPRONT : président d'honneur de l'université de Paris-Sorbonne, professeur émérite à la Sorbonne, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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