PÈLERINAGES & LIEUX SACRÉS
Anthropologie du pèlerinage
Au terme de ce parcours se profile une anthropologie du pèlerinage, dont quelques données maîtresses peuvent être brièvement dégagées.
1. Le lieu sacré est, dans l'expérience religieuse de l'espèce humaine, une nécessité. La quantité innombrable des pèlerinages l'atteste, autant qu'une histoire globale de ces lieux mêmes : les lieux morts ressuscitent ailleurs et les créations ou les reconnaissances de lieux sacrés ne cessent de survenir.
Ainsi apparaît comme nécessaire, dans l'indéfini de l'espace physique, vécu comme homogène, l'existence de lieux d'espace d'une nature différente du milieu environnant, hétérogènes à celui-ci, caractérisés comme autant de points d'un ailleurs déterminé, qui orientent et fixent la recherche collective et individuelle d'un état « autre ».
Ces lieux détiennent, au regard de l'expérience pèlerine, une puissance de charge sacrale qui leur est propre : d'où la croyance largement répandue que l'on peut, en visitant successivement plusieurs lieux sacrés, cumuler leurs charges sacrales respectives. La tradition de circuits pèlerins, parfois d'étendue considérable, particulièrement développée en Extrême-Orient, confirme cette matérialisation psychique du lieu sacré.
L'extraordinaire richesse des composantes qui font la sacralité du lieu sacré – essentiellement : révélation ou présence surnaturelle, nature, histoire, légendaire, traditions, croyance collective, densité des foules aussi – donnent à ce lieu une puissance de sacralisation qui est à la mesure des convergences et de l'intensité d'unisson de ces différents facteurs au même lieu. Aussi y a-t-il, inscrite dans les pulsions des masses pèlerines, une hiérarchie de « vertu » des lieux sacrés.
Le lieu sacré devient ainsi, pour le monde pèlerin, lieu de source ou de re-sourcement. Vers lui convergent les routes de la sacralisation et par lui cristallise, dans l'imaginaire collectif, l'attente de retours périodiques. Le pèlerin tend, par concentration mentale, à privilégier sa localisation dans l'espace ordinaire, soit dans l'attente du pèlerinage, soit dans la mémoire de celui-ci. La direction en est inscrite dans l'espace alentour par la conscience physico-psychique d'un « orient » d'espace sacral, imaginaire spatial du chemin par où l'on atteindra à la source.
2. Le pèlerinage est la geste extraordinaire d'une quête humaine du sacral. Cette geste, entreprise dans la libre disposition de soi, est d'abord acte de foi. En ce sens, l'acte pèlerin prend une valeur double : il est épreuve de la force personnelle de croire et il porte témoignage de la vérité sacrale du lieu où il s'accomplit. La foi pèlerine tout à la fois reçoit et consacre les sacralités du « lieu ».
Elle est vécue, d'autre part, dans une conjoncture en tout point exceptionnelle : elle se déroule, en effet, dans le cadre d'un espace sacré durant un temps sacré, lui aussi hétérogène au temps du quotidien. La transmutation des deux catégories existentielles maîtresses, celle de l'espace et celle du temps, en réalités sacrales constitue le medium de l'accomplissement pèlerin. Cette geste est éminemment solennelle donc, quelles qu'en soient les formes extérieures.
Elle se développe dans une gestuaire collective, qui doit être intégralement réalisée comme elle a été programmée, à partir d'une tradition spécifique à chaque lieu sacré. Cette gestuaire est faite de pratiques et de rites, qui sont en général différents de ceux du culte sédentaire et sont parfois dénoncés par celui-ci.
Dans sa dynamique profonde, cette geste est démarche d'offrande : offrande sacrificielle et propitiatoire ; offrande de participation et de communion.
Dans sa réalisation,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alphonse DUPRONT : président d'honneur de l'université de Paris-Sorbonne, professeur émérite à la Sorbonne, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
Autres références
-
ABYDOS
- Écrit par Christiane M. ZIVIE-COCHE
- 2 681 mots
- 4 médias
...pays. À la XIIe dynastie, sous Sésostris Ier, Osiris a définitivement supplanté le dieu local et Abydos est devenu un grand centre de culte et de pèlerinage ; le dieu est alors fréquemment nommé Osiris Khentamentyou. À l'Ancien Empire, seul le pharaon aspirait à devenir lui-même Osiris après sa... -
AMÉRINDIENS - Hauts plateaux andins
- Écrit par Carmen BERNAND
- 4 689 mots
Ces croyances peuvent également intégrer des éléments chrétiens.Tel est le cas du célèbre pèlerinage du Koyllur Riti, dans le département du Cuzco, qui se déroule entre l'Ascension et la Fête-Dieu. Alors que l'objectif final est d'atteindre le glacier sacré où vivent les ancêtres, le rite contient... -
BÉNARÈS
- Écrit par François DURAND-DASTÈS
- 287 mots
- 1 média
L'une des grandes villes de l'Inde, Bénarès (ou Bānaras ou Vārānasi) est située dans la plaine du Gange. Son rôle de capitale religieuse de l'hindouisme, du bouddhisme et du judaïsme en a fait un grand centre de pèlerinage depuis plusieurs millénaires. Il est bénéfique de mourir...
-
BERSABÉE ou BEERSHEBA
- Écrit par André LEMAIRE
- 406 mots
- 1 média
- Afficher les 18 références