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PENSÉE

Une conception « platonicienne » de la pensée : Frege

La réponse la plus radicale à ces questions consiste à nier que la pensée puisse s'identifier à des structures linguistiques ou avec des représentations mentales. Le logicien Frege est peut-être le meilleur représentant d'une telle conception. Pour lui, les pensées (Gedanken) sont des entités objectives, identifiées aux significations des phrases d'un langage, qui ont la propriété d'être vraies ou fausses de toute éternité, indépendamment des esprits qui peuvent reconnaître leurs conditions de vérité, et de manière absolue, c'est-à-dire indépendamment de toute relativisation à un contexte. Bien qu'elles aient, comme les phrases, une structure, les pensées fregéennes ne sont ni de nature linguistique ni de nature psychologique : elles ne sont pas, en un sens quelconque, des représentations symboliques ou mentales, mais des entités exprimées par des signes, situées dans un univers idéal, comme celui des idées platoniciennes.

Une pensée est, en ce sens, comparable à ce que les logiciens appellent une « proposition », c'est-à-dire le contenu objectif véhiculé par une phrase ou sa signification, par opposition aux occurrences concrètes de cette phrase. L'objectivité de ces entités est destinée, selon Frege, à assurer l'objectivité des lois de la logique qui sont le prototype des pensées vraies. Mais cette théorie « réaliste » des pensées se heurte à des difficultés bien connues. En premier lieu, si les pensées sont des entités particulières, comment peut-on les identifier ? Qu'est-ce qui compte comme l'identité de deux pensées ? Un critère de la synonymie de deux expressions est notoirement difficile à formuler. En second lieu, si les pensées sont autonomes par rapport à l'esprit, comment celui-ci peut-il les reconnaître ? Frege suppose qu'elles sont « saisies » par des actes d'intuition et que l'affirmation de leur vérité ou de leur fausseté donne lieu à des jugements. Mais si les pensées existent, comme le dit Frege, de toute éternité, prêtes à être découvertes, comme le géographe découvre un pays inconnu, par quelle faculté mystérieuse pouvons-nous accéder à elles ? Une difficulté comparable affecte toute théorie platonicienne de la reconnaissance des formes ou des essences.

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Écrit par

  • : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S

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Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

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