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PEONY PAVILION (mise en scène P. Sellars)

Deux versions de l'un des plus célèbres opéras chinois, Le Pavillon aux pivoines (1598) de Tang Xianzu, devaient être présentées en France à l'occasion du festival d'Automne 1998. Le gouvernement chinois a finalement interdit que la mise en scène de l'œuvre dans sa version intégrale, par Chen Shi-Zheng, soit montrée. Restait Peony Pavilion (MC93 Bobigny), le spectacle de Peter Sellars créé à Vienne, puis repris en tournée à Londres et à Rome, avant d'être joué à Berkeley en mars 1999.

Loin de n'être qu'un succédané de l'œuvre intégrale, qui totalise quelque cinquante-cinq scènes pour une vingtaine d'heures de spectacle, Peony Pavilion repose sur un jeu complexe entre la tradition et l'innovation. Fruit d'une collaboration avec le compositeur Tan Dun (auquel on doit notamment Marco Polo), cette version écarte les épisodes burlesques ou politiques pour se construire tout entière autour de la passion qui lie la fille d'un dignitaire, Du Liniang, et un pauvre étudiant, Liu Mengmei. Dans la première partie, au son d'une musique recréée d'après la notation traditionnelle, Du Liniang voit Liu Mengmei dans un rêve érotique, s'éprend de lui et meurt d'amour ; dans la seconde, au rythme percussif d'un orchestre mêlant des accents électroniques et des incantations rituelles, c'est Liu Mengmei qui voit Du Liniang en songe, puis retrouve son autoportrait, l'étreint sous sa forme de fantôme, exhume son corps et finit par l'épouser. Puissance d'un sentiment qui a le pouvoir de tuer et de ressusciter ; vision onirique, apparition spectrale et retour d'une femme d'entre les morts : comment mieux dire que cette « histoire d'amour qui dure le temps de trois incarnations », contemporaine de Roméo et Juliette et d'Orfeo de Monteverdi, est de tous les lieux, donc de tous les temps ?

Peony Pavilion marque l'aboutissement d'une longue maturation. En 1990, au festival de Los Angeles, Peter Sellars avait invité l'artiste chinoise Hua Wenyi, héritière d'une tradition séculaire, à présenter quelques scènes du Pavillon aux pivoines dans le style classique de l'opéra kunju. Conforté par la volonté de celle-ci de revigorer la tradition déclinante, il a mis ici en parallèle les gestes canoniques de l'opéra chinois – les modulations du chant, la grâce des déplacements, l'expressivité de la chironomie et de la physionomie – et deux autres formes scéniques qui ont aussi leur histoire : le style de jeu réaliste et le chant lyrique. Chacun des deux protagonistes est détriplé. Le texte se dit en anglais et se chante en chinois dans la première partie, puis se chante en chinois et en anglais dans la seconde.

Au départ, il s'agissait pour Peter Sellars de confronter l'art de deux Chinoises émigrées aux États-Unis après les événements de la place Tiananmen (Hua Wenyi et Shi Jiehua, qui joue le rôle de la dame de compagnie puis d'une prêtresse taoïste) et celui d'acteurs et de chanteurs américains de souche asiatique, ignorant la culture de leurs ancêtres (Joel de La Fuente, Lauren Tom). À Bobigny, pourtant, c'est une soprano et un ténor blancs (Nancy Allen Lundy et Michael Hart Davies) que l'on découvre dans certaines représentations, et un danseur blanc aussi (Michael Schumacher), issu de la compagnie de William Forsythe, tout le temps silencieux, long et noueux comme un arbre, frénétique comme une rafale d'énergie, pour incarner Liu Mengmei en duo avec Du Liniang (Hua Wenyi). Est-ce à dire que le projet d'une rencontre multiculturelle s'efface devant le syncrétisme esthétique d'une utopie indistincte ?

Pourtant, le plaisir continue à naître de l'intégration des langues et des arts qui se répondent ou se contredisent, des parallèles et des glissements entre les trois[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, maître de conférences à l'université de Caen

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