PERCEPTION DU TEMPS
Les modèles de la perception du temps
Les chercheurs utilisent le terme d’horloge interne, mais il ne s’agit là que d’une métaphore. Le traitement du temps repose sur un réseau de neurones distribué impliquant différentes aires cérébrales interconnectées, dont certaines (cortex pariétal) interviennent également dans le traitement d’autres magnitudes (espace, numérosité). Le temps est en fait un mode de calcul intrinsèque à la plupart des circuits neuronaux activés lors de la présentation d’un stimulus. Autrement dit, il est une propriété émergente des neurones et de la dynamique des circuits neuronaux. En raison de sa dynamique fonctionnelle, le cerveau serait donc une véritable machine à traiter le temps, plus précisément à traiter le flux dynamique des informations dans lequel nous sommes plongés.
L’idée que le cerveau serait intrinsèquement conçu pour estimer les durées n’est pas nouvelle. En 1927, le psychologue français Marcel François, qui étudiait l’effet de la température corporelle sur notre appréciation du temps, parlait déjà d’un phénomène physiologique dont l’accélération provoque des distorsions temporelles. Cette idée a été formalisée par la suite dans des modèles d’horloge interne de type « pacemaker-accumulateur » selon lesquels la durée subjective dépend de la quantité d’impulsions émises par un pacemaker (base de temps) durant l’écoulement du temps et accumulées dans un compteur. Ces modèles ne sont plus utilisés que pour leur pouvoir prédictif sur le plan comportemental et ont laissé la place à d’autres que l’on a voulus plus réalistes sur le plan neurologique. Ceux-ci envisagent un décodage du temps soit à partir de l’état d’oscillateurs neuronaux, actifs au début et à la fin de l’intervalle temporel à estimer, soit à la suite de l’activité d’une cellule dans le cas de durées très courtes, ou encore d’une chaîne de neurones qui s’activent successivement au cours du temps. Le striatum jouerait alors un rôle central d’intégration des patrons temporels d’activité neuronale observés dans différentes structures cérébrales. L’activité des neurones dopaminergiques permettrait aussi de renforcer certains patrons temporels, facilitant leur reconnaissance et leur reproduction.
Le cortex constitué de nombreux oscillateurs neuronaux code donc la dimension temporelle d’un événement. Mais les aires activées dépendent de la nature du traitement implicite ou explicite, et de nombreux autres facteurs, comme la modalité visuelle ou auditive de présentation du stimulus temporel, ou l’échelle temporelle considérée (≈ 50-100 ms, < 1 s, > 1-2 s). Le cortex préfrontal serait impliqué dans l’allocation de l’attention à la dimension temporelle d’un stimulus. Le cervelet jouerait quant à lui un rôle majeur dans le traitement des durées courtes et la régulation temporelle motrice. Certains travaux confèrent aussi au cortex entorhinal un rôle dans la mémoire épisodique temporelle, en une zone également impliquée dans la mémoire de l’espace. Quoi qu’il en soit, le traitement du temps chez l’homme ne se réduit pas à la simple activité d’un petit groupe de neurones. De plus, cette activité ne permet pas d’expliquer comment émerge dans diverses situations sociales la conscience du sentiment que le temps passe plus ou moins vite. C’est la raison pour laquelle les neurosciences et les sciences sociales et cognitives travaillent de concert afin d’essayer de comprendre le temps psychologique et ses multiples facettes. L’objectif de la recherche est donc d’essayer de proposer des modèles plus intégratifs permettant de coordonner les différents niveaux de jugement du temps et d’aller au-delà d’un modèle d’horloge interne spécialisé dans la perception des durées.
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Écrit par
- Sylvie DROIT-VOLET : professeure des Universités en psychologie, Laboratoire de psychologie sociale et cognitive, CNRS, UMR 6024, université Clermont-Auvergne, Clermont-Ferrand
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