PERCEPTION (notions de base)
La perception dans l’espace
Dans sa Critique de la raison pure (1781), et plus particulièrement dans la chapitre intitulé « Esthétique transcendantale » (le mot « esthétique » étant pris dans son ancienne acception de « philosophie de la sensation »), Emmanuel Kant (1724-1804) se penche sur ce qu’il nomme le « phénomène », autrement dit la réalité apparente que nous offrent nos sens. Tous les objets que nous percevons, et même ceux que nous imaginons, se situent dans l’espace et dans le temps. Or l’espace et le temps ne sont nullement des perceptions, ce sont, pour reprendre les termes du vocabulaire kantien, des « intuitions pures ». Kant veut dire par là que l’espace et le temps sont les cadres a priori à travers lesquels nous percevons. On pourrait les comparer à des lunettes colorées. Si un individu voyait le monde au travers de verres de lunettes bleus, il penserait que le monde est bleu, et il lui faudrait pouvoir retirer ses lunettes pour comprendre que le monde ne lui apparaît tel qu’en raison des verres au travers desquels il le perçoit. Sauf que l’espace et le temps constituent ici la structure même de toutes nos représentations. « L’espace n’est pas un concept empirique, dérivé d’expériences extérieures », il est « une représentation nécessaire, a priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions externes », écrit Kant. Je ne perçois donc pas l’espace lui-même, mais je perçois dans l’espace. Notre intuition de l’espace précède toutes nos expériences. Sans elle, ces expériences ne pourraient se dérouler, et n’existeraient pas pour nous.
Heidegger a développé des réflexions différentes mais conduisant à des conclusions analogues. Pour lui, le monde ambiant n’est pas inscrit dans un espace objectif qui lui préexisterait, il est l’espace-monde par opposition à l’inconnu, au « non-monde ». Heidegger prend l’exemple du menuisier dans son atelier : celui-ci a organisé l’espace en fonction de l’utilisation qu’il va faire de ses outils. C’est le « souci » des tâches à venir qui lui a dicté l’organisation spatiale de son atelier, et en aucun cas des considérations objectives ou géométriques. La « proximité » comme la « place » de chacun des outils sont uniquement fonction du travail qu’il doit effectuer.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
Classification