PERCEPTION
Les processus « top-down »
La Gestaltpsychologie ou psychologie de la forme, développée à partir de la fin du xixe siècle, a souligné que la synthèse que constitue un objet perceptif est plus importante que la somme des parties le constituant. Par exemple, l’expérience acoustique d’une mélodie ou d’un accord ne peut pas être réduite à la somme des stimuli physiques qui les composent : d’autres sons peuvent produire une mélodie ou un accord semblables, pourvu que les intervalles entre eux soient respectés, comme dans la transposition d’une tonalité à une autre. Aussi, dans le triangle de Kanizsa nous voyons davantage que les « PacMen » qui dessinent les vertex du triangle : nous faisons aussi l’expérience des contours illusoires d’un triangle et pouvons même avoir l’impression que la surface (illusoire) du triangle est plus brillante que le fond. Les relations entre les éléments, et pas seulement leur juxtaposition, sont donc primordiales pour la perception.
La perception d’un objet dans le monde requiert par définition la présence de l’objet, dont les dimensions élémentaires comme la forme, la position, la couleur, etc. sont intégrées par les processus perceptifs. Toutefois, nos connaissances a priori apportent une contribution importante à notre perception, au-delà des qualités sensorielles élémentaires des objets.
Le rapport entre signal et bruit n’est donc pas le seul facteur qui détermine la perception. Les connaissances générales sur l’état des choses sont également importantes. Par exemple, l’orientation d’un dégradé de couleur sur un disque peut faire percevoir ce dernier comme convexe ou concave, car notre système visuel sait que l’illumination du soleil, qui vient généralement d’en haut, déterminerait des ombres cohérentes avec cette solution.
Ces influences top-down de nos connaissances sont également importantes afin d’optimiser les décisions perceptives. Dans un environnement qui change continuellement et rapidement, les organismes complexes ne peuvent se contenter de répondre aux événements extérieurs après leur survenue, mais doivent être capables de les anticiper dans une certaine mesure afin d’adopter un comportement optimal pour la survie. Dans un match de tennis, le système perceptif des joueurs doit être capable non seulement de localiser la balle instant par instant, mais aussi de prédire sa trajectoire future, afin que le système moteur ait le temps de l’intercepter malgré sa vitesse élevée.
Le théorème de Bayes (du nom du pasteur presbytérien Thomas Bayes, 1702–1761) permet de calculer la probabilité P de survenue de l'événement A si on sait que B est vrai :
Par exemple, si je vois de loin un gros canidé gris courir dans le parc national des Abruzzes, quelle est la probabilité qu’il s’agisse d’un loup ? Je peux la calculer si je sais que, par exemple, 80 p. 100 des gros canidés du Parc sont des chiens : 75 p. 100 des chiens blancs + 5 p. 100 des chiens gris ; les 20 p. 100 restants sont des loups, qui se répartissent pour moitié en gris (10 p. 100) et en marron (10 p. 100). P(A) représente la probabilité que l’animal soit un loup sans avoir d’autres informations : 20 p. 100. P(B) est la probabilité qu’un gros canidé quelconque soit gris, soit 5 p. 100 chiens + 10 p. 100 loups = 15 p. 100. P(B|A) représente la probabilité qu’un loup soit gris, soit 50 p. 100. En appliquant le théorème de Bayes, je peux estimer que la probabilité d’avoir vu un loup est de (0,5 × 0,2)/0,15 = 2/3, soit environ 67 p. 100. En effet, quand nous observons des stimuli ambigus, nous appliquons inconsciemment de telles inférences probabilistes, afin d’arrêter une décision perceptive sur leur identité.
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Écrit par
- Paolo BARTOLOMEO : médecin neurologue, directeur de recherche à l'INSERM
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