PERCEVAL OU LE CONTE DU GRAAL, Chrétien de Troyes Fiche de lecture

Dans Perceval, ou le Conte du Graal, roman en vers octosyllabes, composé à la demande du comte de Flandre Philippe d'Alsace, Chrétien de Troyes (1135 env.-1183 env.) renouvelle sa technique narrative, tout en lançant dans le champ littéraire un motif appelé à un succès aussi large que durable : le motif du Graal et de sa quête. Commencé en 1181 et laissé inachevé à sa mort, il s'agit là de son dernier roman, après Érec et Énide, Cligès, Lancelot, ou le Chevalier de la charrette, et Yvain, ou le Chevalier au lion.

La « Terre gaste »

Le récit, inachevé, est fondé sur l'alternance des aventures de Perceval et de Gauvain. Perceval, le jeune homme que sa mère a délibérément élevé loin du monde extérieur (c'est-à-dire du monde arthurien) et qui ignore son nom et son lignage, décide un beau jour de printemps de devenir un chevalier. Projeté dans cet univers inconnu, il lui faut tant bien que mal en intégrer très vite les codes chevaleresque et courtois. De son côté, Gauvain, le héros le plus expérimenté de ce même monde, s'enfonce peu à peu dans un univers qui se situe aux marges de la cour d'Arthur, dominé par la violence, puis dans le monde atemporel du Château des Reines. Lui aussi doit s'inventer de nouveaux repères.

Au centre des aventures de Perceval intervient l'énigme du Graal : le passage répété dans le château d'un roi impotent (impuissant) d'un cortège mystérieux, qui associe une lance qui saigne, un plat à la rayonnante splendeur (le Graal) et deux tailloirs d'argent, devrait inviter Perceval à poser des questions. D'où viennent ces objets ? À qui apporte-t-on le Graal ? Pourquoi la lance saigne-t-elle ? Mais le jeune homme reste étrangement muet et échoue dans l'épreuve qui lui était destinée. Quelques réponses lui seront données peu après, de manière parcellaire. Le Graal est porté au père du Roi Pêcheur qui a reçu Perceval. Sa seule nourriture, apprendra-t-il ensuite, est l'hostie « qui vient dans le Graal ». Le Roi Pêcheur est le cousin de Perceval, comme le lui révèle peu après sa cousine qui lui fait deviner son nom, « Perceval le Gallois », mais le transforme aussitôt en « Perceval le malheureux ». Simultanément, elle prononce la malédiction : poser les questions attendues aurait rendu la santé au Roi Pêcheur et la fertilité au royaume. Mais l'échec est irréparable, comme le confirme peu après la « Demoiselle Hideuse ». Perceval, pourtant, s'acharne cinq ans durant et dans l'oubli de Dieu à retrouver le chemin du château du Graal. La fin du livre manquant, on ne peut que spéculer sur l'issue de cette démarche désespérée et sur son intérêt. La rencontre du héros avec l'ermite, un autre cousin, laisse supposer une quête différente. Être digne du nom de chevalier implique désormais que Perceval triomphe de sa propre violence et mette en pratique les préceptes de conduite chrétienne que lui dispense l'ermite.

Dans le parcours de Perceval, parcours d'apprentissage des codes courtois et chevaleresque et plus encore de l'ouverture à la souffrance du monde, l'amour ne tient pas vraiment la première place. Auprès de Blanchefleur, la jeune femme incapable de défendre sa ville assiégée, Perceval éprouve sans doute une émotion amoureuse qui le pousse à voler au secours de son « amie ». Dans le célèbre épisode des trois gouttes de sang sur la neige, qui rappellent au chevalier les fraîches couleurs du visage de Blanchefleur, le jeune homme apprend aussi à lire les signes (la semblance, dit le texte). Mais Perceval devait-il chez Chrétien épouser Blanchefleur une fois sa quête achevée, et devenir roi ? Et en quel royaume ? Autant de questions en suspens.