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SHELLEY PERCY BYSSHE (1792-1822)

La pensée de Shelley

Il n'est nullement nécessaire qu'un grand poète soit aussi un penseur. Mais il est des poètes qui ont été angoissés par des problèmes philosophiques éternels et par le besoin d'alléger les injustices sociales et les maux causés par l'oppression. Dante est au premier rang de ceux-là, et ce que les Modernes jugent mort dans sa théologie ou sa cosmologie, étroit et haineux dans sa politique n'enlève rien à leur admiration pour sa sensibilité et son art. Au cœur de l'œuvre shelleyenne s'exprime une pensée religieuse et politique ardente, généreuse, naïve aussi et parfois même simpliste. On a dit que Shelley était un pur poète, et il est en effet souvent désincarné, habitant des nuées : Matthew Arnold, dans une phrase cruelle, l'a comparé à un ange sans efficacité (le mot « ineffectual », typiquement anglo-saxon et victorien, est presque intraduisible), battant en vain des ailes dans le vide. Mais ce n'est en rien la pureté de Coleridge ou de Keats, l'alchimie lyrique de Nerval ou de Valéry, qui bannit la prose et le moralisme de l'art pour l'art. Shelley a eu beau déclarer dans la préface de son Prométhée qu'il abhorrait la poésie didactique, une bonne partie de son œuvre est didactique, dans le sens généreux du mot, comme l'est presque tout roman, comme l'est aussi une bonne part de l'œuvre de Hugo, de Swinburne, de Claudel. Il combat, il affirme et veut répandre ce à quoi il croit avec intensité, comme l'a désiré d'ailleurs le T. S. Eliot des Quatre Quatuors (Four Quartets), ou même Valéry. L'ambition d'un poète et d'un mystique est de communiquer une expérience profonde, de faire ressentir aux lecteurs l'état poétique qu'elle a suscité chez l'auteur, grâce à des images, des symboles et des rythmes.

Shelley éprouvait le besoin de s'expliquer le mal dans le monde. Si Dieu doit être conçu, ainsi que l'affirment diverses religions, comme responsable de ce mal cosmique qu'il a infligé aux êtres ou permis, mieux vaut nier Dieu. L'explication de ce mal par le mythe du péché originel paraît enfantine à ce poète qui avait vu souffrir et mourir plusieurs de ses petits enfants innocents et n'en pouvait voir la justification par la transgression d'Adam, pas plus d'ailleurs qu'il ne pouvait consentir aux souffrances des animaux (il était végétarien et a dit dans Alastor n'avoir jamais fait de mal à serpent, oiseau ou insecte). Dès ses débuts, observant la misère des ouvriers, l'oppression des pauvres, des Irlandais, des paysans anglais par les riches, par les gouvernants, par l'oligarchie des électeurs des « bourgs pourris », Shelley se tourna vers Godwin, et au-delà de lui vers la pensée matérialiste de Diderot, de d'Holbach, de Laplace. Il y avait en fait une source de poésie plus authentique et plus généreuse dans cette pensée que dans le christianisme conventionnel et affadi des années 1780-1820. Le divin était placé non au commencement, mais à la fin du monde.

Condorcet, avec sa loi du progrès, impressionna Shelley, comme il avait, par le rôle considérable qu'il accordait à la femme libérée, influencé la mère de sa femme, Mary Wollstonecraft. À la fin du Prométhée déchaîné, rejetant la conclusion du drame perdu de la trilogie eschyléenne, Shelley envisageait le triomphe de ce Prométhée-Christ, stoïque parmi les tortures, consolé par des femmes. Le quatrième acte de ce drame lyrique associe le firmament entier : lune, étoiles, terre, à l'allégresse qui chante la libération des perpétrateurs du mal. Dans son drame Les Cenci, ceux-ci, replacés dans l'histoire et sur un plan terrestre, n'osent pas présenter le triomphe de la pure et douloureuse Béatrice sur le criminel incestueux qu'est son père ; la pièce reste[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis

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Percy Shelley - crédits : Gustavo Tomsich/ Corbis/ Getty Images

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