SHELLEY PERCY BYSSHE (1792-1822)
La foi en l'avenir, l'art
Cette veine prophétique d'un poète qui veut légiférer pour un monde meilleur qu'il aura aidé à naître entraîne d'ailleurs rarement Shelley vers l'éloquence ou la prédication sociale faciles. Elle se traduit plutôt par le refus des bornes inutilement imposées à l'homme par l'ignorance, l'erreur ou la faiblesse : on pense en le lisant aux cris de Rimbaud : « Changer la vie » ou « Je me révolte contre la mort ». Son poème « À l'alouette » a été critiqué comme trop prodigue en comparaisons et en litanies. Mais Shelley y dit son désir de s'identifier à l'oiseau qui s'envole en flèche loin de la terre pour chanter son allégresse : s'il pouvait, lui, atteindre à une joie aussi entière, le monde écouterait son chant avec le même ravissement.
Son ode la plus célèbre, « Au vent d'ouest », si elle retombe un moment dans la mélancolie, se gonfle à nouveau de foi dans la dernière strophe. Puisse le vent faire du poète sa lyre, devenir lui, l'envahir en effaçant toute différence entre le moi et le non-moi. De ce foyer non éteint que sera alors le poète, le vent soufflera de toutes parts ses paroles, comme des cendres et des étincelles, et il sera « la trompette d'une prophétie ».
Cette confiance dans l'avenir de l'humanité et dans la lutte de l'artiste et de l'homme contre la destinée n'aveugle pas Shelley. Il n'est pas resté un adolescent refusant l'expérience du concret et niant la souffrance. Les cris d'angoisse, de retombée de l'empyrée de ses rêves abondent dans ses courts poèmes et sont déchirants. « Nos plus doux chants sont ceux qui disent les pensées les plus tristes », disait un vers de l'« Ode à l'alouette ». La conclusion de « La Plante sensitive » dénonce le règne de la mort ici-bas, même si la beauté et l'amour échappent à la loi du changement. Le huitain « A Dirge » (« Chant funèbre ») capte un immense sanglot de la terre et des vents, qui se lamente sur le mal dans le monde. L'avant-dernière année de sa vie, alors qu'il était le plus proche d'une vue platonicienne de l'univers et entrevoyait les idées derrière les apparences imparfaites, Shelley confessait, dans les notes à Hellas, l'incapacité de tout penseur à trancher le nœud gordien de l'origine du mal. Une grave sagesse et quelque résignation donnent leur poids aux poèmes de 1819-1822. En même temps, le poète ne veut pas renoncer à explorer l'invisible ou, du moins, à rendre visible l'invisible. Le pressentiment de la fin et la pensée de la mort le hantent. Adonais, l'un des plus nobles poèmes jamais consacrés à la mort, ne réussit pas à trouver de consolation dans la pensée que « l'un subsiste tandis que le multiple change et passe ». « La vie, tel un dôme de verre aux mille couleurs, souille le blanc éclat de l'éternité », écrit Shelley, et il ajoute « puis la mort la foule aux pieds et la brise ». Il est rare que ce poète d'utopie et de rêve se soit égaré dans les nuées, tel l'Ixion dont il se rit. Il avait, comme le montrent ses lettres et des poèmes familiers (« Lettre à Mrs. Maria Gisborne »), un sens vif du concret et même de l'humour.
Plus que tout autre poète anglais, Keats excepté, il possédait une imagination capable de faire resurgir l'enfance et de créer des mythes, comme tous les poètes, surtout les Grecs. Shelley lisait en effet Homère, Eschyle et Platon dans le texte avec aisance et les sentait fortement et justement. Il a traduit Calderón et Goethe, et pénétrait sans effort dans les secrets de Dante. Cette imagination, trop riche, s'égarait parfois dans le vague et l'indécis. La rapidité de vision du poète s'accompagnait d'une rapidité d'exécution qui, comme chez Lamartine,[...]
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Écrit par
- Henri PEYRE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis
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