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PERFORMANCE, art

De l'esthétique à l'éthique

Analysées par Thierry de Duve, nombre de performances des années 1960 et 1970 ont pu ainsi passer pour d'autant plus « engagées » que leurs auteurs prenaient au sérieux la subversion promise par l'inflation de la reproduction mécanisée. Il n'empêche que les exégèses consacrées par exemple à l'Américain Dan Graham demeuraient, sur le plan proprement politique, assez prudentes. Selon de Duve, cet artiste se montrait soucieux d'utopie plutôt que de désaliénation « en direct » ; mieux valait donc s'appuyer sur Marcuse, voire sur Ernst Bloch (il est arrivé à Thierry de Duve de mentionner le maître livre de ce dernier : Le Principe espérance), que sur Adorno. La définition qu'a proposée récemment Daniel Bensaïd de l'utopie selon Bloch conviendrait, en somme, pour caractériser l'esprit des performances de Dan Graham : serait utopique tout « point d'inscription d'une morale dans l'horizon pratique du politique ».

Mais la référence majeure pour toute réflexion touchant le degré d'engagement des performers reste Walter Benjamin. Sa pensée a toujours été ambiguëet empreinte de nostalgie, comme s'il lui était insupportable de devoir faire son deuil de l'aura. En effet, plus les techniques d'enregistrement et de diffusion se perfectionnent et « démocratisent » l'accès à l'image et à la culture, et plus le public éprouve de difficulté à s'affranchir de la société de consommation. Que celle-ci vive en un vaste Luna Park communicationnel ne fera qu'accélérer la démission de l'esprit critique ; et par contrecoup, les artistes désireux de redresser la barre n'y parviendront qu'au prix d'une vigilance accrue, si ce n'est démesurée. Certes, il était encore temps, dans les années 1930, de répliquer à la confiscation, par Hitler et Mussolini, du slogan futuriste de l'« esthétisation de la politique » en faisant de la politisation de l'esthétique la pierre de touche d'une esthétique « de gauche ». Mais déjà le Walter Benjamin de Sens unique l'avait énoncé en 1928 : « La vision la plus essentielle, aujourd'hui, celle qui va au cœur des choses, la vision mercantile, c'est la publicité. Elle détruit la marge de liberté propre à l'examen et nous jette des choses au visage de manière aussi dangereuse qu'une auto qui vient vers nous en vibrant sur l'écran de cinéma, et qui grandit démesurément. »

Comme pour confirmer l'aspect négatif de ce pronostic, la génération des artistes new-yorkais qui s'étaient toqués, à la fin des années 1970, des Simulacres et simulation de Baudrillard se voua résolument à la politisation de l'art en général, et des performances en particulier. « Nous ne pouvons plus, expliquait Sherrie Levine, avoir cet optimisme naïf qui croyait que l'art pouvait changer les régimes politiques – une aspiration partagée par de nombreux projets modernistes. » Effectivement, un postmodernisme « simulationniste » s'installa, qui se fit une gloire de passer du ready-made duchampien à la simple signature d'artefacts déjà consacrés. Visitant une exposition de Sherrie Levine qui rephotographiait des reproductions d'œuvres de Walker Evans, Giorgio Morandi ou Piet Mondrian, Catherine Millet, se croyant d'abord victime d'une hallucination, découvrit ensuite que l'artiste se réclamait sur le plan doctrinal de Bouvard et Pécuchet : « Le monde est si plein qu'on y étouffe [...] Nous pouvons seulement imiter un geste toujours antérieur [...] Le plagiaire, qui succède au peintre, ne porte plus en lui de passions [...] mais plutôt cette immense encyclopédie dans laquelle il puise. »

On comprend la perplexité de Catherine Millet face à cette poétique du temps[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

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Média

John Cage - crédits : H V Drees/ Hulton Archive/ Getty Images

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