- 1. Performance et tradition orale
- 2. De la musique au théâtre
- 3. Performer et transformer : Marcel Duchamp
- 4. Performance et narrativité
- 5. L'esthétique du groupe Zaj
- 6. Performance et présence
- 7. La performance comme fête
- 8. Performance et technologie : la question de l'aura
- 9. Au-delà de l'aura
- 10. De l'esthétique à l'éthique
- 11. Bibliographie
PERFORMANCE, art
Performance et narrativité
C'est au philosophe Jean-François Lyotard que revient le mérite d'avoir fait clairement la distinction, pour la première fois, entre les théories « performatives » – qui s'efforcent de justifier la science moderne et les divers développements de la technologie au xxe siècle par des discours de « légitimation », axés sur des critères « positifs » de cohérence et de rentabilité – et les discours « narratifs » que caractérise « l'incrédulité à l'égard des métarécits », c'est-à-dire l'indifférence à l'endroit des critères de ce genre, et plus généralement envers les justifications dont s'entoure la modernité triomphante. Le maître livre qu'est La Condition postmoderne oppose, à l'idéal moderne de l'accroissement de la puissance et de l'efficacité comme optimisation des performances (au sens utilitaire...) de ce système dans lequel nous sommes pris, 1'« impouvoir » du « savoir narratif » nécessairement battu en brèche et discrédité par le positivisme ambiant, mais dont la forme qui est celle du récit, ne cesse de nous hanter et de nourrir en nous la fibre – « postmoderne » même, encore que nous n'en ayons pas fini de supporter les conséquences de la modernité, de la et du désenclavement à l'égard de la pensée calculante.
En quoi l'art-performance avive-t-il 1'« incrédulité à l'égard des métarécits », c'est-à-dire de les légitimations ?
Réponse : la forme narrative – et, par extension, la pragmatique de l'art-performance – « obéit à un rythme, elle est la synthèse d'un mètre qui bat le temps en périodes régulières et d'un accent qui modifie la longueur ou l'amplitude de certaines d'entre elles ». Lyotard décèle l'influence de ce rythme dans 1'« exécution rituelle » de certains contes indiens : « transmis dans des conditions initiatiques, sous une forme absolument fixe, dans un langage que rendent obscur les dérèglements lexicaux et syntaxiques qu'on lui inflige », ces contes « sont chantés en d'interminables mélopées » qui défient la compréhension et s'imposent en deçà de tout sens, préalablement à toute velléité de communication et donc antérieurement à tout besoin de justification. Car c'est par leur seule forme que ces mélopées se diffusent : des comptines enfantines aux musiques répétitives ou « planantes », nul contenu ne légitime aucun savoir positif – seul importe le refrain. Performer, c'est répéter – et rien ne se laisse mieux répéter que l'absence de sens ou de contenu : l'essence de la narrativité, c'est sans doute, assez paradoxalement, au niveau zéro du « narratif » dans l'acception habituelle qu'il convient de la chercher. La performance est donc bien une pratique de délégitimation, et cela en vertu de la pratique temporelle elle-même qui se trouve mise en jeu dans l'acte de performer : autonome, celui-ci n'a même pas à s'appuyer sur le présent comme sur un déjà-là afin de trouver à se justifier ; il peut se permettre de vivre la présence du présent « avant » d'ériger cette présence en un passé salvateur ; il lui est loisible d'en aiguiser en quelque sorte la précarité. Autrement dit, le présent n'a pas ici à être privilégié, et ne saurait servir de garantie ou de caution pour quelque tactique légitimatrice que ce soit. J.-F. Lyotard l'exprime en toute clarté : « À mesure que le mètre l'emporte sur l'accent dans les occurrences sonores, parlées ou non, le temps cesse d'être le support de la mise en mémoire et devient un battement immémorial qui, en l'absence de différences remarquables entre les périodes, interdit de les dénombrer et les expédie à l'oubli. Qu'on interroge la forme des dictons, des [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Daniel CHARLES : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII
Classification
Média
Autres références
-
ABDESSEMED ADEL (1971- )
- Écrit par Giovanni CARERI
- 989 mots
...des nombreuses collections publiques et privées. Abdessemed utilise le dessin, la sculpture, la photographie et la vidéo, filmant parfois ses propres performances comme, par exemple, dans Chrysalide, ça tient à trois fils (1999), où il défait la burqa en laine noire qui couvre entièrement le corps... -
ABRAMOVIC MARINA (1946- )
- Écrit par Bénédicte RAMADE
- 634 mots
Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...
-
ACCONCI VITO (1940-2017)
- Écrit par Jacinto LAGEIRA
- 1 073 mots
Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...
-
ACTIONNISME VIENNOIS
- Écrit par Matthias SCHÄFER
- 2 242 mots
Né sur les ruines de la politique conservatrice et étouffante que la bourgeoisie puis le régime nazi avaient établie en Autriche, l'actionnisme viennois, en allemand : Wiener Aktionismus (1960-1971), a renoué avec l'esprit provocateur des premières années de l'expressionnisme autrichien (Oskar...
- Afficher les 50 références