- 1. Performance et tradition orale
- 2. De la musique au théâtre
- 3. Performer et transformer : Marcel Duchamp
- 4. Performance et narrativité
- 5. L'esthétique du groupe Zaj
- 6. Performance et présence
- 7. La performance comme fête
- 8. Performance et technologie : la question de l'aura
- 9. Au-delà de l'aura
- 10. De l'esthétique à l'éthique
- 11. Bibliographie
PERFORMANCE, art
Performance et présence
« Le Choc du présent » : tel était le titre de l'une des communications les plus remarquables du colloque sur Performance et postmodernité organisé en octobre 1980 à Montréal par la revue Parachute. L'auteur, René Payant, qui enseigna l'histoire et la théorie de l'art à l'université de Montréal, et à qui l'on doit, reprises dans un important recueil posthume (Vedute, 1987), nombre d'analyses audacieuses, l'histoire de l'art à l'université de Montréal avait choisi – comme nous l'avons fait ici même – de faire remonter à M. Duchamp l'ère actuelle (« postmoderne » parce que rongeant « de l'intérieur » une « modernité » vouée à l'efficace et au calcul) de la performance. C'était afin de préciser la part de la présentation du présent dans le ready-made – et d'en tirer une esthétique de la présence qui vaut d'être ici évoquée, en ce qu'elle est distincte de l'esthétique du rite et du cérémonial que propose Zaj.
L'urinoir que Duchamp tente sans succès de faire exposer au salon new-yorkais des Indépendants de 1917 est bien un « objet trouvé », emprunté à la production industrielle la plus banale, et dont la nature ou (si l'on ose dire) le contenu paraît suffisamment « neutre » pour que l'on hésite à l'exhiber. Mais dans les expositions ultérieures comme sur les photographies d'époque on s'aperçoit que Duchamp apporte une modification décisive à la situation spatiale d'un tel objet : il l'érige sur un socle. La performance de Duchamp oblige l'urinoir à « perdre sa fonction » : comme l'observe R. Payant, « transformé, déconnecté de sa tuyauterie, retiré du lieu privé de son utilisation, basculé de 900 et posé sur une base, cet urinoir serait malgré tout utilisé à ses fins (perdues) qu'il prouverait aussitôt qu'il est effectivement ici une fontaine. Le jet émergeant alors de l'objet – rapport à l'extérieur qui est « anormal » pour l'objet urinoir – se retournerait donc contre l'utilisateur qui ne se serait pas contenté de regarder, c'est-à-dire d'accomplir sa fonction de spectateur (pour faire l'œuvre). Le titre, nom propre de la sculpture, est donc celui de cette composition qui implique un angle de présentation et une base ».
La base, le socle, rehausse donc l'urinoir au rang de sculpture : l'institution du musée désigne l'urinoir comme artistique, et le titre témoigne, au niveau du langage, de cette mutation défonctionnalisante : quoi de plus poétique en effet, qu'une fontaine ? Il s'agit bien d'un titre de noblesse : l'appellation « fontaine » sacralise l'urinoir. Simultanément, le renversement spatial et le changement lexical introduisent à une saisie renouvelée de l'objet, saisie à la faveur de laquelle ce n'est pas l'objet seul qui se donne à percevoir, mais l'objet au sein de son contexte – comme si la performance consistait à faire que l'œuvre investisse son environnement. Ce qui vient à la présence, ce n'est pas seulement le ready-made « urinoir », c'est la rencontre du ready-made « fontaine » et du ready-made « institution de musée » qui l'encadre et le baigne. « Fontaine, comme le dit R. Payant, indique alors les conditions d'existence de l'œuvre d'art, conditions qui lui préexistent et qui fondent le système de sa réception et de sa transmission. Bref, métonymie (représentant conceptuellement tout le musée) et synecdoque (participant concrètement de tout ce qui encadre l'objet sélectionné comme artistique), la base devient ici l'emblème du musée, de la tradition, de l'institution artistique tout entière. Fontaine met donc en scène la[...]
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Écrit par
- Daniel CHARLES : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII
Classification
Média
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