PERGAME
Le Grand Autel
L'une des pièces essentielles du dispositif politico-religieux était assurément le Grand Autel. Étroitement lié au sanctuaire d'Athéna, car établi sur une terrasse inférieure toute proche de celui-ci, il représente sans aucun doute la fondation la plus importante du règne d'Eumène. Bien qu'il conserve la forme traditionnelle des autels à offrandes dont l'Ionie fournit de nombreux exemples depuis l'époque archaïque, sa monumentalité (l'autel est quatre fois plus grand que le temple d'Athéna !) le désigne comme un cas unique. Consacré à Zeus, mais aussi à Athéna et à tous les dieux, il comportait une table sacrificielle à l'intérieur d'une vaste cour à portiques à laquelle on accédait par un escalier de vingt-cinq marches. Le socle des portiques d'encadrement de la cour (faux portiques à vrai dire, composés de colonnes très proches des murs, qui avaient pour unique fonction de scander une série de statues) était orné d'une frise en haut relief qui constitue la plus grande - et l'une des dernières - des créations de la sculpture monumentale grecque. Haute de 2,28 m et longue de près de 120 mètres, cette frise, recomposée pour l'essentiel au Pergamonmuseum de Berlin, reprend le thème de la gigantomachie. La lutte victorieuse des dieux contre les géants symbolise évidemment, en première lecture, la suprématie des rois grecs de Pergame sur les Barbares et leur victoire sur le Séleucide Antiochos III. Mais, au-delà de cette signification politique, la composition possède une portée cosmique : elle explicite la symbolique des structures architecturales puisque l'autel lui-même repose matériellement sur cette mêlée monstrueuse de corps, sur ce bouillonnement d'énergies figées, évoquant ainsi la conquête, par les dieux du ciel, des règles liturgiques du culte sur les forces obscures et confuses issues de la terre. L'on n'a pas manqué d'y retrouver de multiples réminiscences de l'iconographie attique du ve siècle, de celle du Parthénon surtout. Mais l'emphase dans l'expression des sentiments, la violence des gestes de l'affrontement, le réalisme grimaçant des expressions - de la douleur en particulier -, le goût pour les êtres monstrueux ou hybrides créent un langage iconographique entièrement nouveau, que les historiens de l'art qualifient volontiers de baroque. Mais il est une autre caractéristique de cette frise, plus méconnue mais non moins importante ; elle est savante et en partie ésotérique. Dans le foisonnement des reliefs où se manifeste une sorte d'horreur du vide se pressent, à côté des dieux traditionnels, une foule de divinités mineures connues par la Théogonie d'Hésiode, de personnifications des phénomènes célestes dérivées du poème d'Aratos, de tout un bestiaire fabuleux aussi, de la terre, du ciel et des eaux. Une vaste culture philologique et mythographique, entretenue par les prêtres et les lettrés de la cour des Attalides, s'exprime ici avec une sorte de pédantisme flamboyant. C'est tout le trésor du paganisme grec qui se trouve ici condensé en une efflorescence crépusculaire où l'Apocalypse verra le « trône de Satan ».
Il est cependant un second relief qui mérite autant d'attention, c'est la « petite frise » située derrière la table sacrificielle, sur la face interne du mur oriental du portique et sur une partie des retours latéraux. Commencée plus tard que la grande frise et laissée inachevée par Attale II, elle procède d'un principe tout différent, celui du récit continu, et témoigne d'une profonde contamination entre les techniques du relief et celles de la peinture. Le fond joue ici un rôle essentiel, non seulement du fait des éléments de paysage ou d'architecture qui s'y rencontrent, mais surtout en raison de l'impression d'espace qu'il entretient[...]
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Écrit par
- Pierre GROS : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I
- Roland MARTIN : membre de l'Institut
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