PÉROTIN (XIIe-XIIIe s.)
L'évolution des formes
L'organum
L'organum est une des premières formes polyphoniques ; il apparaît avant le xe siècle. Au-dessus de la vox principalis à laquelle était confiée la mélodie grégorienne, une vox organalis évoluait parallèlement à une distance de quarte ou de quinte. Afin d'éviter la fausse relation de triton (quarte augmentée) que les musiciens médiévaux considéraient comme « le diable en musique » (diabolus in musica), la vox organalis fut amenée à former avec la mélodie principale d'autres intervalles que la quarte ou la quinte : unisson, seconde ou tierce. Mais il s'agissait encore de contrepoint note contre note (déchant). En évoluant encore, la vox organalis allait acquérir plus d'indépendance par rapport à son support liturgique et s'enrichir de mélismes. Les premiers exemples de ce nouveau style apparaissent à Saint-Martial de Limoges. Les musiciens de Paris développent cette technique et, au temps de Léonin, la vox principalis ou « teneur » s'étire en valeurs longues tandis que le duplum ou vox organalis développe d'amples vocalises dans un style qu'on peut qualifier de fleuri. À l'intérieur de la composition, des sections dans le style du déchant (note contre note) apportent un élément de contraste. Dans les sections en pur style d'organum, la teneur est non mesurée ; elle l'est au contraire dans les passages en style de déchant. Tous les manuscrits dont on dispose présentent ce genre de composition en partition, ce qui facilite aux exécutants la compréhension de la concordance des deux voix.
Telle est la forme dont hérita Pérotin et qu'il allait transformer. L'un des inconvénients majeurs de l'organum était sa durée parfois excessive (jusqu'à 20 minutes). Afin d'abréger la composition, Pérotin substitua des clausules en style de déchant aux clausules dans le vieux style. Exemple : un des manuscrits de Wolfenbüttel comporte quatre clausules (au choix) sur la syllabe « go » du mot virgo, destinées à prendre place dans l'organum Benedicta Virgo Dei genitrix.
Modes et voix
Autre nouveauté, l'usage des six modes rythmiques (séparés ou combinés) alors que Léonin se contentait du premier mode. Mais la grande innovation fut l'adjonction d'une troisième et d'une quatrième voix. Cet enrichissement s'accompagnait d'une économie dans l'usage des mélismes ou vocalises. Les deux ou trois voix supérieures présentent chez Pérotin de courts fragments mélodiques et rythmiques dont la répétition devient élément d'animation. Au contrepoint mélodique s'ajoute un contrepoint rythmique. Une brève analyse du Viderunt omnes fera comprendre l'importance des réformes pérotiniennes : cet organum quadruple se divise en trois sections ; dans la première, la teneure fait entendre les syllabes des mots Viderunt omnes, chacune en valeurs très longues (les notes qui supportent ces syllabes correspondent à des dizaines de mesures dans les parties supérieures en notation moderne). Au-dessus de ces gigantesques piliers, les trois voix supérieures échangent de courts motifs de rythme semblable ; les voix de même tessiture se croisent et s'imitent ; car Pérotin semble avoir découvert le principe de l'imitation qui va devenir la base de l'écriture contrapuntique jusqu'à Jean-Sébastien Bach. Contrastant avec la solennité puissante de la basse (teneur), les voix du duplum, triplum et quadruplum donnent une impression d'allégresse carillonnante. La seconde section du Viderunt omnes est traitée en plain-chant (fines terrae salutare Dei nostri, jubilate Deo omnis terra). La troisième partie, de beaucoup la plus développée, est consacrée au verset : Notum fecit Dominus salutare suum, ante conspectum gentium revelavit. On y retrouve le style de la première ; mais aux[...]
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Écrit par
- Roger BLANCHARD : musicologue
Classification
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