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PERRIER FRANÇOIS (1922-1990)

Avec François Perrier disparaissait l'un des représentants les plus fameux de la troisième génération psychanalytique française : celle qui fit l'âge d'or du freudisme dans ce pays en se nourrissant de l'enseignement de Lacan et en donnant à cet enseignement son impulsion majeure.

Né à Paris en 1922, François Perrier est le fils d'un journaliste poète qui le laissera orphelin à l'âge de treize ans : « Mon père, écrira-t-il plus tard, a versifié son suicide avant de mourir précocement de mort dite naturelle et sans incinération. »

Élevé par des femmes et obligé de gagner sa vie, Perrier essaie plusieurs métiers avant de s'engager par vocation dans la carrière médicale. Parallèlement, il étudie le piano, devient un excellent soliste et compose des chansons. Après la guerre, il s'oriente vers la psychanalyse et entreprend avec Maurice Bouvet une cure didactique qui se terminera dans une sorte de tragi-comédie. En 1956, il se retrouve sur le divan de Jacques Lacan au moment même où celui-ci polémique avec Bouvet à propos de la relation d'objet. La cure dure trois mois et se solde par un échec : « Ce qui intéressait Lacan, c'était moins l'analyse typique d'un hystéro-phobique que la façon dont son prédécesseur m'avait traité. »

Entraîné dans la première scission, il devient un brillant junior de la nouvelle Société française de psychanalyse, où il présente en 1954 sa première communication sur la psychothérapie des schizophrènes. Dans l'élan qui marque ce groupe, il se lie d'amitié avec Serge Leclaire et Wladimir Granoff, et c'est avec ce dernier qu'il présentera au congrès d'Amsterdam de 1960 un éblouissant rapport sur la question de la sexualité féminine, repris ensuite dans leur livre écrit en commun Le Désir et le féminin, en 1979. Sur la lancée d'une proposition de Lacan, les deux amis abordent le problème par la voie de la perversion, en s'éloignant tout autant de l'anatomisme de Françoise Dolto que du naturalisme de Jones et de l'école anglaise.

Quand survient le conflit qui fera éclater la S.F.P., Perrier participe avec Leclaire et Granoff aux négociations qui doivent permettre la réintégration du groupe au sein de l'International Psychoanalytical Association (I.P.A.). Jouant à la révolution et rêvant de conquérir l'Amérique, ils se comparent volontiers à une troïka. Le nom leur restera.

Après l'échec de la négociation, Perrier adhère à l'École freudienne de Paris fondée par Lacan en 1964. Mais il ne tarde pas à s'opposer, trois ans plus tard, au nouveau projet de formation didactique que celui-ci veut imposer à son école. Et, quand il quitte l'E.F.P. avec Jean-Paul Valabrega et Piera Aulagnier pour fonder, en 1969, l'Organisation psychanalytique de langue française (Quatrième Groupe), ce départ est ressenti comme un drame par la nouvelle génération lacanienne et comme le signe annonciateur du dogmatisme à venir (Voyages extraordinaires en Translocanie, 1985). Par ses qualités de clinicien de l'hystérie, par ses souffrances et par sa dérive alcoolique, François Perrier restera dans la mémoire du mouvement français comme un personnage hors du commun, ayant osé mêler son corps malade et la toute-puissance de son moi à l'exercice d'une transmission humaniste du savoir freudien (L'Alcool au singulier : l'eau de feu et la libido, 1982). Par ses défaillances mêmes, il aura été absolument moderne. Les deux anciens de la troïka se trouvaient à son chevet pour l'assister dans sa dernière agonie.

— Élisabeth ROUDINESCO

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Écrit par

  • : directeur de recherche à l'université de Paris-VII, vice-présidente de la Société internationale d'histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse

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