PERSÉCUTION
Le persécuté
« Les mauvais traitements, écrit un psychanalyste, R. Diatkine, réalisés ou imaginés, désirés ou craints, portant sur le sujet lui-même ou sur ceux qui comptent pour lui, sur les individus dans leur totalité ou sur une partie privilégiée de leur corps, sont un thème constant dans le discours de nos patients, qu'il s'agisse de son contenu manifeste ou de son contenu latent. » En effet, l'humanité vit dans la peur (bien plus que dans l'angoisse), peur consciente avec toutes ses nuances de prudence, de méfiance, de précaution, peur inconsciente, magistralement étudiée par Nacht comme étant au départ des névroses. C'est pourquoi le mauvais traitement est si facilement imaginé, même s'il n'a pas lieu.
Du persécuté réel il y a peu à dire, sinon que souvent le mauvais traitement qu'il subit et les allures de maître que se donne celui qui les lui inflige le fascinent. Sans aborder ici le problème du masochisme, complice du sadisme, il importe de dire quelques mots de la victimologie, science fondée par F. Wertham en 1948, et développée, entre autres, par H. Ellenberger, qui décrit sous l'expression de « syndrome d'Abel » le comportement de sujets plutôt favorisés par la vie, manquant d'auto-affirmation, éprouvant de vagues sentiments de culpabilité, du fait de la jalousie qu'ils inspirent, et peu capables de se défendre. N. Dracoulidès, de son côté, a décrit sous le nom de victimisation un exhibitionnisme masochiste qui vise à attendrir autrui, mais en prenant le risque du résultat inverse, et par lequel, en réclamant l'approbation du groupe sur sa triste situation, le sujet peut devenir dangereux pour ceux qui ne jouent pas son jeu, bel exemple de persécuté-persécuteur.
Le persécuté imaginaire se rencontre fréquemment. La persécution est « le thème dramatique fondamental des délires chroniques systématisés [...] il confère à la psychose paranoïaque son sens profond de drame existentiel. Ce drame est l'expression thématique d'un conflit dont les deux termes du binôme fondamental sont le couple agressivité-culpabilité. La psychose persécutive et persécutrice est comme un équilibre phantasmatique de ces deux forces » (H. Ey). Dans ce type de délire propre à la paranoïa le mécanisme essentiel est l'interprétation, grâce à quoi le malade peut voir une hostilité contre lui là où il n'y en a pas. Cette structure est si répandue qu'elle déborde la paranoïa proprement dite et peut se rencontrer, sous une forme plus floue, dans d'autres délires chroniques (comme la psychose hallucinatoire chronique) et dans des cas de schizophrénie stricto sensu (c'est-à-dire au sens des cliniciens français), tel celui qui est très bien décrit à travers le personnage d'Ivan Dmitri Gromov dans La Salle no 6 (1892), nouvelle de Tchekhov.
À la limite de la normalité se situe, dans la vie quotidienne, un type d'homme au jugement faux, égocentrique, introverti, méfiant et soupçonnant partout des pièges, orgueilleux et timide à la fois, facilement vindicatif et quérulent, bien décrit par Dide et déjà décelé par F. Paulhan dans sa description de l'« esprit faux ». Ces « petits paranoïaques » sont actuellement classés parmi les « caractériels » et correspondent en partie au caractère anal repéré par la psychanalyse, ce qui les apparente aussi aux obsessionnels.
Dans l'économie freudienne, l'explication de ces mentalités est assez univoque ; il s'agit d'homosexuels qui s'ignorent ou plus exactement qui se sentent faussement accusés de leur anomalie par autrui ; ou encore c'est l'objet aimé qui refuse l'amour et le renvoie sous forme de haine. Si enfin l'objet aimé homosexuellement se trouve être le rival dans une liaison hétérosexuelle, il en sera doublement haï ; tel est le fondement de la jalousie amoureuse, dont[...]
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Écrit par
- Georges TORRIS : docteur en médecine et en philosophie
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