PERSONNAGE, notion de
Notion a priori simple que celle de « personnage », qui désigne l'équivalent fictif de la personne humaine, tel qu'il est employé dans une œuvre littéraire et, dans le cas du théâtre, incarné sur scène par un acteur. Personne fictive, toute la complexité de cette notion est là : d'un côté en raison de la spécificité des conceptions de la poétique narrative ou dramatique (la représentation du personnage est, dans bien des esthétiques, secondaire par rapport à celle de l'action – elle est un moyen, et non une fin), et d'un autre côté par l'effet de l'évolution même de l'idée de « personne », le personnage littéraire ne coïncidant pas forcément avec nos modernes conceptions de l'individu et du sujet psychologique.
Du « caractère » à l'« individu » : les mutations du personnage
La persona, en latin, c'est d'abord le masque porté par l'acteur antique. C'est dire si la notion de personnage renvoie non pas à une intériorité supposée, mais à une apparence, établie par des signes distinctifs qui eux-mêmes valent plus en ce qu'ils renvoient à des traits généraux et clairement lisibles qu'en tant qu'ils singularisent. Le personnage est ainsi, durant des siècles, dessiné à gros traits. Si une complexité ne lui est pas forcément déniée, celle-ci tient à sa situation plus qu'à son caractère (ses traits moraux) : la tragédie selon Aristote se veut une représentation d'actions et non de caractères – il en est de même pour l'épopée. Constituant secondaire, le personnage se voit donc soumis au primat de la fable. Son identité relève plus du type ou de l'archétype que de la singularité, et il se révèle avant tout par ses actions. Identité non complexe, le personnage incarne ainsi des traits de caractère, généraux et topiques (ainsi, dans L'Iliade, il peut être majoritairement défini par une épithète : « le bouillant Achille », « Ulysse le rusé »), des valeurs, des vertus, ainsi que des fonctions sociales, avec les attributs qui leur sont traditionnellement liés. C'est donc sur le mode de la reconnaissance qu'il fonctionne : ainsi les héros de toutes sortes – des chevaliers médiévaux (épopée, roman courtois) aux amants de romans ou de pièces du xviie siècle –, ou, sur le mode comique, les personnages de farces ou de comédies (avares, de Plaute à Molière, maris cocus et benêts, valets débrouillards, jeunes amoureux...). La mimèsis classique s'attachera à veiller à ce principe, à travers les règles de bienséance, de ressemblance et de constance imposées au « caractère » : le personnage doit doublement coïncider avec lui-même, son identité devant à la fois être conforme aux attentes communes et ne pas changer durant l'action.
Ce n'est qu'avec l'Âge moderne que l'évolution des attentes entraîne une modification des critères de définition du personnage. À partir du xviie siècle, au fur et à mesure que l'idée d'une complexité psychologique apparaît, qu'une intériorité autrefois sacrée se laïcise, la littérature s'attache à l'analyse des méandres de la pensée et du sentiment, des mouvements intérieurs de l'âme. La Princesse de Clèves (1678), de Madame de Lafayette, est ainsi considéré comme l'origine du « roman psychologique ». Au théâtre, des personnages comme ceux de Jean Racine sont construits de manière à laisser supposer un for intérieur plus profond. Dans les deux cas, ces personnages restent cependant conformes aux canons de leurs genres et de leur époque. C'est avec le xviiie siècle, l'âge bourgeois marqué par l'avènement de la notion de sujet, que le personnage doit, pour être accepté par le public, présenter l'apparence d'un individu singulier (influence d'un milieu, [...]
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Écrit par
- Christophe TRIAU : professeur en études théâtrales à l'université Paris-Nanterre, unité de recherche HAR - Histoire des arts et des représentations
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