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PERSONNAGE, notion de

Sujet morcelé et « homme de masse » : le personnage déconstruit

C'est cette individualité (au sens étymologique du terme) du personnage, et le présupposé de sa conscience de soi, que le roman et le théâtre s'emploient à déconstruire à partir de la fin du xixe siècle. Le personnage peut ainsi, dans le cadre du symbolisme ou de l'expressionnisme, être traversé par des forces qui le dépassent. À l'inverse, dans une optique matérialiste, la notion d'individu se voit également contredite par la prise de conscience des comportements de « l'homme de masse » : Bertolt Brecht, par exemple, présentera son personnage de Galy Gay (Homme pour homme, 1926) comme malléable, montable et démontable « comme une automobile ». En fin de compte, c'est par la radicalisation soit de l'exploration de l'intériorité, soit, au contraire, d'une approche extérieure et objectivante que la littérature contemporaine met en crise le personnage psychologique. Celui-ci entre dans « l'ère du soupçon » (Nathalie Sarraute, 1956 : « les personnages [...] n'arrivent plus à contenir la réalité psychologique actuelle, [mais] l'escamotent »). La littérature peut alors adopter, dans un déni de l'intériorité, une vision plus objectiviste (à l'instar des auteurs du Nouveau Roman), ramenant le personnage à un plus grand anonymat (en le privant d'identité détaillée, voire de véritable nom : « K. » dans les romans de Franz Kafka, « A » et « B » dans les pièces de Sarraute ou les dramaticules de Samuel Beckett), s'attachant à décrire l'opacité des comportements extérieurs, ramenés à une étrangeté ou parfois à une mécanique burlesque. Elle peut au contraire s'attacher à pénétrer une intériorité psychique tellement complexe qu'elle en devient en fin de compte insaisissable, inassignable : l'influence de la psychanalyse se révèle fondamentale, et se fait sentir dès le début du siècle (Italo Svevo, La Conscience de Zeno, 1923).

Il n'en reste pas moins que le personnage continue d'exercer une fascination primordiale. Ainsi le roman comme le théâtre actuels semblent jouer du désir d'intime que le personnage (inventé, mais aussi autobiographique ou « autofictionnel ») peut susciter chez le lecteur ou le spectateur. Même déconstruit en tant qu'identité psychologique cohérente, il reste en effet le lieu privilégié d'une double fascination chez son récepteur, et d'un double désir : celui du dévoilement d'une altérité, et celui de la reconnaissance et de l'identification.

— Christophe TRIAU

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Écrit par

  • : professeur en études théâtrales à l'université Paris-Nanterre, unité de recherche HAR - Histoire des arts et des représentations

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