PERSONNALISME
Emmanuel Mounier et Maurice Nédoncelle
Particulièrement sensible à la dimension communautaire de la vie personnelle, Emmanuel Mounier (1905-1950) appliqua son génie laborieux aux problèmes psychologiques, sociaux et politiques des relations humaines. Le christianisme infléchit sa conviction socialiste dans le sens d'un respect authentique des subjectivités, conçues comme essentiellement ouvertes. Le personnalisme de Mounier se distingue fortement de l'individualisme, car il souligne, au contraire de celui-ci, la communauté d'être au sein de la collectivité et du cosmos. Son programme de révolution propose « l'individu pour la société et la société pour la personne ». Homme de foi, lutteur généreux, il fonda le mouvement Esprit, dont le rayonnement fut loin d'être négligeable, notamment dans les années 1945-1955.
Formé par l'idéalisme des années vingt, Maurice Nédoncelle (1905-1976) devait trouver, à la faveur d'un méditation personnelle du christianisme, sous l'influence, notamment de Newman, une voie originale : nul ne poussa plus loin ni plus techniquement l'investigation philosophique à partir des thèmes de la Réciprocité des consciences. Car c'est le rapport d'amour entre consciences qui dévoile la nature de la personne : toute dilection implique, fût-ce de façon inchoative, une volonté de promotion mutuelle, tendant à poser autrui comme une perspective universelle. Autrui n'est plus une limite mais une source, dès lors que « le moi ne peut être conçu sans un toi ». C'est le sens de ce moi idéal qui accompagne de fait toute métamorphose de la conscience humaine : « Dans tous les changements que je veux, c'est un nouvel état de moi-même que je poursuis. » Or d'où procède cette représentation idéale que chacun projette devant soi et qui toujours le devance, sinon des personnalités rayonnantes qu'il a rencontrées et qui lui ont chacune proposé un aspect de soi-même dont il était jusqu'alors séparé ? Ainsi viennent à l'homme l'originalité et la liberté. Mais l'apparition des personnes demeure finalement sans proportion avec les ressources de la nature et la conspiration des autres sujets. Il reste donc que l'existence d'un ordre des personnes ne saurait se comprendre ni se justifier hors de la perspective d'une transcendance divine qui, elle-même, pourrait être dite personnelle ou sur-personnelle : on rejoint par ce biais la théologie chrétienne de la Trinité.
À côté de ces personnalismes systématisés, il faut signaler l'esprit personnaliste qui anime les démarches très diverses de Karl Jaspers vers la liberté existentielle, de Raymond Ruyer vers les valeurs. De même, Vladimir Jankélévitch a souligné avec une force inégalée l'unicité de chaque conscience : dans l'infini de l'espace et du temps, la personne est hapax et chacun de ses instants vécus est une vérité éternelle. Francis Jacques a contribué au renouveau de la philosophie de la personne en utilisant les ressources d'une analyse logique rigoureuse. On évoquera Georges Bastide, Gabriel Madinier, Gaston Berger, Jean Lacroix, qui ont contribué à parfaire les différentes faces ou facettes de cette philosophie dont la diversité même atteste qu'elle exprima, dans la conscience d'une époque, la présence d'une valeur multiforme, infiniment précieuse et menacée de toutes parts.
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Écrit par
- Lucien JERPHAGNON : professeur à l'université de Caen
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Médias
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