PERSONNALITÉ MORALE
Une large attribution
Pendant longtemps, la personnalité morale a été regardée comme un privilège, que le souverain ne concédait qu'à bon escient et avec réserve ; on était peu enclin à constituer des « biens de mainmorte » qui, entre les mains d'une personne morale, cesseraient en fait d'être dans le commerce. Le Code civil français, en 1804 encore, a envisagé la personnalité morale avec défaveur, car elle évoquait, dans l'esprit de ses auteurs, les corporations de l'Ancien Régime qui venaient d'être dissoutes.
Depuis lors cependant, le développement de l'industrie et du commerce a nécessité la création d'entreprises qui, par leur importance et leur durée, ne pouvaient être menées à bien par de simples personnes physiques. La philosophie hostile aux associations a été abandonnée. La personnalité morale a été reconnue de plus en plus facilement d'abord aux sociétés (qui ont un but lucratif), plus récemment aux associations (qui ne sont pas constituées pour réaliser des profits).
Toutes les sociétés, civiles ou commerciales, sont aujourd'hui dotées en France de la personnalité morale, à l'exception des seules « associations en participation » qui sont des sociétés clandestines. Quant aux associations, il ne tient qu'à elles de devenir personnes morales ; depuis 1901, une simple déclaration à la préfecture est suffisante à cet effet ; un régime particulier est prévu par la loi pour différents types d'associations, tels que syndicats professionnels (régime de faveur) ou congrégations religieuses (régime plus strict). Un libéralisme analogue règne dans les autres pays ; il est très facile pour les groupements d'y acquérir la personnalité morale.
Une difficulté surgit lorsque l'on entend affecter des biens à une certaine destination ; l'œuvre en question, appelée « fondation », peut-elle devenir personne morale, ou faut-il à cet effet constituer un groupement de personnes, chargé de gérer la fondation ? En certains pays, la loi reconnaît, sous certaines conditions, la personnalité morale aux fondations ; en France, la question est diversement résolue par le droit civil d'une part, par le droit administratif d'autre part ; le premier ne voit de personnes morales que dans les groupements de personnes, tandis que le second admet qu'une œuvre puisse être tenue pour personne morale.
Sur le plan du droit administratif, l'État, les départements, les communes sont dotés de la personnalité morale, et il existe également un grand nombre d'« établissements publics » dotés de la personnalité morale : établissements de type classique (comme les chambres de commerce, les universités) ou établissements publics à caractère industriel ou commercial (comme la S.N.C.F., E.D.F...). La question se pose constamment de savoir si un service public doit être élevé au rang de personne morale administrative ou s'il n'est pas préférable de le faire fonctionner dans un cadre juridique plus large : doit-on donner la personnalité morale à chaque hôpital, à chaque unité d'enseignement et de recherche, ou suffit-il et n'est-il pas préférable de la donner seulement à l'Assistance publique, aux universités, qui pourront dans de meilleures conditions assurer la coordination entre les divers services hospitaliers ou universitaires ? La réponse à cette question varie, en France comme à l'étranger, avec des alternatives de concentration et de déconcentration de l'administration publique.
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Écrit par
- René DAVID : professeur à la faculté de droit et des sciences économiques de Paris
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