PERSONNE
Approche anthropologique
Le problème de l'individuation
Dès les travaux de Maurice Leenhardt sur le sujet (1947), un premier niveau de contraste avec la pensée occidentale s'est manifesté à propos de l'individuation : chez les Mélanésiens – mais aussi dans bien d'autres sociétés –, la catégorie de la personne ne fournit pas un schéma individuant de l'être humain. L' individu en tant que tel est dépourvu de pertinence : l'être humain ne se définit que par des « rôles » partiels auxquels il adhère dans des situations données et par les places sociales qui lui sont dévolues, soit par la naissance, soit par acquisition. Dans cette société, comme dans certaines sociétés africaines, le corps à lui seul ne circonscrit pas nécessairement un individu. Il semble bien plutôt que jouent ici, selon les termes de Roger Bastide, deux « antiprincipes d'individuation » : la pluralité des éléments constitutifs de la personne, et la fusion de l'individu avec l'espace qui l'entoure et avec la temporalité où il s'insère. Cela ne signifie, certes, pas que les membres de ces sociétés ne reconnaissent pas de principes différenciateurs ni qu'ils se conçoivent dans une sorte de flou diffus de l'être-au-monde, mais que la personne ne s'achève qu'au terme de déterminations progressives, dans un processus qui s'effectue tout au long de la vie sociale et grâce à tout un système de signes et de marques, notamment le nom, qui en instaure la singularité. Celle-ci, cependant, n'existant que dans de multiples réseaux sociaux et mythiques, s'inscrit très différemment de celle de l'homme des sociétés industrielles, centrée sur le « moi » et sur l'intériorité.
La notion de personne en anthropologie définit donc le savoir d'une société relatif à l'être humain en tant que situé à une place sociale qui est authentifiée, corrélative de droits et d'obligations et localement conçue comme « naturelle ». Une telle conception n'est pas séparable des autres ordres de représentations – cosmogoniques, symboliques, biologiques, etc. – propres à toute société. Loin d'être indifférenciée, elle apparaît, comme l'a montré Claude Lévi-Strauss, fortement organisée, selon des taxinomies et classifications quelquefois très complexes, en tout cas toujours hétérogènes à l'unicité d'un moi, à une identité simple qui ordonnerait les rapports d'un sujet au monde. Toutefois, l'usage anthropologique de ces systèmes classificatoires est une construction qui a une valeur heuristique, et qui, commode pour l'analyse, n'est, pas plus que pour l'homme moderne, opératoire en totalité, à tout instant et en toute situation. Aussi, le terme même de « personne », bien que ses connotations classiques l'empêchent de rendre compte exactement des représentations traditionnelles, reste-t-il un concept pratique, aucun autre ne semblant plus approprié.
Les composantes de la personne dans les sociétés soudanaises
Les analyses de la personne effectuées par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen chez les Dogon et les Bambara du Mali ont eu historiquement une influence considérable et ont marqué l'essor des recherches ultérieures – ce qui explique partiellement l'importance des travaux des africanistes sur ce thème. Fondées sur de longues observations, elles ont mis en évidence des systèmes complexes de composantes ou d'éléments : systèmes « corporels », « spirituels » et sociaux. D'une manière schématique, on peut dire que la personne dogon comprend le corps périssable, huit principes spirituels individuels et non transmissibles (dont l'« âme » et le « double »), la force vitale et le contenu des clavicules – composé des symboles des graines des huit céréales fondant l'alimentation dogon et correspondant, comme l'être[...]
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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