PERSPECTIVE
La perception de la tridimensionnalité perspective
Si les projections de la géométrie descriptive permettent de passer sans ambiguïté de la figure objective à sa représentation sur un plan et vice versa (restitution perspective), dans le cas de la perspective on néglige le problème inverse pour introduire quelques hypothèses concernant la position du centre de projection et du tableau qui permettent d'organiser la construction géométrique en fonction d'un observateur hypothétique. La tâche que l'on attribue à la perspective est en effet de construire de tout objet réel une image qui corresponde exactement à celle que donne la vision directe ; et pour que se réalise cette concordance, qui constitue la clef du naturalisme présumé de la perspective, on sait qu'une condition est requise : que le point de vue choisi par celui qui regarde le tableau perspectif coïncide avec celui qu'on a adopté pour le construire, dans une vision stationnaire et monoculaire, à la distance et à la hauteur prescrites. Mais il faut se demander si l'illusion de la tridimensionnalité spatiale produite par l'image perspective est absolue ou relative et comment, en tout état de cause, expliquer un tel phénomène. Pour répondre à la question, il est indispensable de commencer par rappeler brièvement quels sont la structure anatomique et le fonctionnement psychophysiologique de l'organe de la vue.
Dans la partie interne de l'œil, un rôle essentiel est assumé par la rétine : en effet, la couche de cellules réceptrices (cônes et bâtonnets) dont elle est formée transforme, à la suite de toute une série de processus chimiques et électroniques, les incitations lumineuses (projection optique) provenant du monde extérieur en impulsions nerveuses et les transmet, par l'intermédiaire des fibres du nerf optique, jusqu'à l'aire de projection visuelle du cortex cérébral. Là, le processus passe du domaine physiologique – et plus précisément neurologique – au domaine psychologique, et les informations transmises par la rétine sont traduites en représentation perceptive des formes (et des couleurs et valeurs lumineuses) du monde apparent, disposées dans la profondeur spatiale. C'est ce dernier processus – la localisation des phénomènes dans l'espace – qui intéresse tout particulièrement la perspective. La psychologie de la vision a défini une série d'indices de profondeur – c'est-à-dire de structures de stimulation à proximité qui fournissent des indications sur la disposition dans l'espace des objets à distance –, précisément sur la base de l'identité présumée entre représentation sur la surface graphique ou picturale et représentation sur la surface rétinienne. Mais tous ces indices monoculaires et statiques de profondeur – convergence linéaire, superposition des contours, grandeur relative, grandeur familière, distribution et orientation de l'éclairage –, bidimensionnels par définition, peuvent reproduire aussi bien des modèles bidimensionnels que des agencements tridimensionnels situés à des distances variées et ne permettent, en conséquence, qu'une perception spatiale ambiguë.
À une telle ambiguïté n'échappent pas non plus les indices binoculaires de profondeur – hors du champ de la vision perspective monoculaire – dont le plus important est la disparité rétinienne, que l'on a cessé aujourd'hui de considérer comme ayant un rôle déterminant dans la vision stéréoscopique. D'où l'hypothèse empiriste de nombreux psychologues de la vision qui, pour expliquer les perceptions de la profondeur et de la distance, font appel au souvenir laissé par certaines expériences non visuelles antérieures et interprètent l'acte perceptif comme une combinaison des sensations visuelles immédiates et des images mnésiques des expériences tactiles et kinesthésiques passées – les expériences kinesthésiques[...]
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Écrit par
- Marisa DALAI EMILIANI
:
professore ordinario di storia della critica d'arte , université de Milan
Classification
Médias
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