PERSPECTIVE
La perspective dans les arts figuratifs
Une histoire de la perspective limitée aux exemples d'une expression rigoureusement géométrique de l'espace risque de faire violence à la vérité figurative, en superposant le modèle abstrait de la perspective centrale moderne sur les expériences spatiales différemment structurées des diverses époques et provinces des histoires de l'art. Sans doute est-il préférable de renoncer d'emblée à la construction d'une ligne évolutive trop cohérente, afin de dégager quelques moments caractéristiques, dans une confrontation dialectique des systèmes d'interprétations les plus stimulants proposés par la critique moderne.
La connaissance de la perspective dans l'Antiquité classique
La connaissance de la perspective dans le monde classique constitue un des sujets les plus controversés de l'histoire de l'art antique, qui dispose de deux types de témoignages. D'un côté, il existe une série discontinue de sources documentaires, fournies par les notices techniques et historiques de Vitruve, précieuses mais énigmatiques, sur la skenographia grecque et ses méthodes, inaugurées par le scénographe d'Eschyle, Agatharcos, vers le milieu du ve siècle avant J.-C. et théorisées ensuite dans les traités perdus d'Anaxagore et de Démocrite (De architectura, I, 2,2 : Scaenographia est frontis et laterum abscendentium adumbratio ad circinique centrum omnium linearum responsus ; et VII, préf. 11) ; par quelques notations littéraires indirectes, comme la condamnation de la sculpture illusionniste prononcée par Platon dans Le Sophiste ou, au contraire, l'admiration exprimée par Pline l'Ancien pour les trompe-l'œil de la peinture de Zeuxis, Parrhasios et Apollodore ; par les références théoriques présentes dans certains vers du De natura rerum de Lucrèce, mais surtout dans les traités d'Optique d'Euclide (iiie s. av. J.-C.) et de Ptolémée (iie s. apr. J.-C.). C'est seulement chez Vitruve qu'il est fait explicitement mention d'une méthode de représentation perspective, qui est associée cependant non à la peinture mais à la scène de théâtre.
D'un autre côté, il existe un corpus limité de documents figuratifs, constitué par les peintures pariétales de l'époque romaine des styles II, III et IV (ier s. apr. J.-C.) et, pour les époques antérieures, en raison de la disparition totale de la peinture grecque à fresque et de chevalet, par la peinture sur vase qui ne fournit que des indices. L'analyse du matériel archéologique qui subsiste, en quantité réduite et de qualité généralement médiocre puisqu'il provient en très grande partie de la cité provinciale de Pompéi, révèle une nette répugnance des artistes de l'Antiquité à organiser rationnellement sur un plan les volumes de l'espace à trois dimensions, et là où une tentative plus systématique se fait jour, elle met en évidence un curieux schéma de profondeur : au lieu de converger vers un unique point de fuite comme cela se produit dans l'espace unitaire de la perspective moderne, les prolongements des orthogonales convergent deux par deux, avec une inclinaison parallèle ou variable, dans une succession de points alignés sur l'axe de la peinture, créant un modèle symétrique en arête de poisson.
La présence répétée de cette structureà axe de fuite, qui caractérise surtout les parties supérieures des fresques – dans la peinture antique comme dans la peinture médiévale, c'est en effet le plan en raccourci du plafond à caissons qui fournit le schème modulaire de profondeur de toute la composition, schème qu'on retrouvera dans l'échiquier du carrelage des peintures de la Renaissance –, a suggéré une hypothèse hardie à certains spécialistes (E. Panofsky, J. White), qui l'ont interprétée comme le résultat d'une construction[...]
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Écrit par
- Marisa DALAI EMILIANI
:
professore ordinario di storia della critica d'arte , université de Milan
Classification
Médias
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