PERSPECTIVE
Le débat sur la perspective au XXe siècle
La crise de la perspective dans la culture moderne est à mettre en relation avec la conception nouvelle de l'espace, introduite par les géométries non euclidiennes et dans le domaine scientifique par la théorie de la relativité ; elle coïncide, par ailleurs, avec la crise de la fonction traditionnelle de l'art comme mimesis, à laquelle l'esthétique idéaliste oppose une vision nouvelle de l'art conçu comme connaissance et langage. Cézanne, à la fin du xixe siècle, libère la peinture des contraintes de l'imitation et l'élève au rang d'instrument d'analyse des formes naturelles envisagées sous l'aspect de solides géométriques. C'est le cubisme qui rompit radicalement avec les structures de l'espace perspectif : il ramène l'objet à la bidimensionnalité du support pictural et le représente simultanément sous des angles multiples, instaurant une tension cognitive qui repousse le subjectivisme de la vision perspective au nom de l'objectivité pluridimensionnelle de l'image. Une telle approche a eu des répercussions déterminantes sur l'évolution artistique, mais il serait erroné de croire qu'elle mette un terme aux recherches sur les potentialités expressives de la perspective : que l'on pense aux projections exaspérées qui sous-tendent les énigmes de la peinture métaphysique (Giorgio De Chirico) ou aux subtils sortilèges perspectifs créés par Paul Klee au cours de ses années de travail au Bauhaus.
Parallèlement aux expérimentations des artistes, la pensée esthétique à la fin du xixe siècle s'engage dans un examen critique de la perspective, dont les auteurs liés au « visibilisme » (Sichtbarkeit) mettent en question pour la première fois le réalisme, qu'ils ramènent en même temps à la catégorie stylistique et formelle d'« espace ». S'appuyant sur la méthode iconologique, E. Panofsky, dans une étude fondamentale parue en 1927 (mais élaborée en 1924-1925), a infléchi en quelque mesure tout le développement ultérieur de l'histoire de l'art ; de simple instrument technique, la perspective passe avec lui au rang de phénomène stylistique et culturel majeur, dont la fonction naturaliste est relativisée et qui subit un procès radical d'historicisation. Dénonçant, à la lumière des principes théoriques d'Ernst Cassirer, l'altérité essentielle de l'espace mathématique – continu, homogène, infini – par rapport à l'espace de l'expérience perceptive, et reconnaissant dans le premier l'idée moderne d'espace symbolisée dans la construction perspective de la Renaissance avec unique point de fuite, Panofsky conteste la conception académique traditionnelle qui avait vu dans la perspective l'instrument d'une tridimensionnalité jouissant du privilège d'être la seule à être tenue pour scientifiquement légitime ; et, de la perspective, Panofsky refuse, par ailleurs, le caractère d'unicité en tant que « forme symbolique », à chaque époque et dans chaque culture, des conceptions scientifiques et philosophiques de l'espace. L'hypothèse découlant de cette analyse et attribuant à la peinture antique une méthode spécifique de représentation perspective (avec projection sur une surface courbe) était sans nul doute susceptible de vérifications ultérieures : c'est sur cette voie que s'engage J. White (1957) lorsqu'il propose une histoire de l'espace figuratif occidental conçue comme l'histoire de la constitution progressive de deux systèmes perspectifs opposés, un système linéaire et un système curviligne plus proche de la réalité optique.
Tout autre est la position de D. Gioseffi (1957), qui récuse la féconde relativisation historique opérée par Panofsky et tente, sur la base d'un contrôle philologique[...]
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Écrit par
- Marisa DALAI EMILIANI
:
professore ordinario di storia della critica d'arte , université de Milan
Classification
Médias
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